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Je suis française, fille d’immigrés et j’ai honte

RÉFUGIÉS – Les circonvolutions dans lesquelles s’expriment nos politiques français dès lors qu’il s’agit de faire ce qui devrait être notre devoir le plus élémentaire me laissent sans voix.

Alors que notre continent européen est en proie à une crise migratoire sans précédent, dont les terribles images ont choqué l’opinion internationale, les gouvernants français peinent encore à prendre des mesures à la hauteur de la réputation de notre pays qui se targue pourtant d’être « le pays des droits humains ».

Face à la pression de citoyens indignés par les images de ces milliers d’êtres humains risquant leurs vies et celles de leurs enfants pour atteindre nos frontières, notre président François Hollande a fini par annoncer l’accueil de 24 000 réfugiés supplémentaires… sur deux années. Cette généreuse volonté d’accueillir 33 personnes par jour paraît bien piteuse quand on sait qu’en l’espace d’un seul week-end notre voisine l’Allemagne a accueilli 20 000 personnes en détresse. Et si le tout récent revirement du gouvernement allemand fait jaser, c’est surtout l’immobilisme de ses voisins – dont mon pays – qui m’interpelle.

Les circonvolutions dans lesquelles s’expriment nos politiques français dès lors qu’il s’agit de faire ce qui devrait être notre devoir le plus élémentaire me laissent sans voix.

L’urgence humanitaire est criante, la douleur des migrants s’exprime à nos portes et les principes qui forgent le socle de notre pacte démocratique, devraient nous pousser sans aucune hésitation à porter secours à celles et ceux qui ont eu la malchance de naître dans des parties du globe moins favorisées. Mais nos politiques loin d’être portés par ces principes semblent au contraire tétanisés par des considérations bien plus terre à terre : les scores électoraux à venir. Car selon leurs calculs affligeants, le fait de montrer des signes d’ouverture à l’endroit des populations déplacées pourrait crisper leur précieux électorat qui ces dernières années a émis de forts signaux de sympathie à l’égard des idées rances de l’extrême droite. Rappelons-le, notre pays est celui qui lors des élections européennes a envoyé le plus grand nombre de députés d’extrême droite au Parlement Européen.

Ainsi lorsqu’il s’est exprimé sur la question, notre président François Hollande n’a pas cherché à réduire l’influence des sombres idées de fermeture portées par le Front National ni même à transformer la mentalité de la population en avançant des arguments rationnels quant à la réalité de l’impact de l’immigration, dont on sait que ses effets sont loin d’être négatifs. Il a préféré conjuguer la nécessité « d’humanité » à l’évocation d’une « fermeté » rassurante pour ceux qui redoutent une invasion migratoire. Il s’est contenté d’affirmer que nos « frontières doivent être protégées », comme si nous étions en guerre, attaqués par des hordes de dangereux migrants.

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Et son Premier Ministre n’a pas pris le risque de le démentir. Invité sur un plateau de télévision, Manuel Valls s’est empressé d’annoncer que nos efforts consisteraient à « distinguer réfugiés des migrants qui n’ont pas vocation à être sur notre sol », ajoutant magnanime qu’il saura « reconduire à la frontière dignement » les indésirables. C’est donc une politique de tri que notre pays s’apprête à mettre en œuvre en distinguant les migrants méritants parce qu’ils fuient la guerre de ceux qui ne fuyant « que » la misère sont indignes de rester sur notre sol.

Depuis des années des milliers de personnes embarquent sur des radeaux de fortune au péril de leurs vies pour fuir des pays qui ne leur offrent pas des conditions d’existences dignes. Au Sénégal, le pays de mes parents, l’hymne de ces jeunes qui bravent la mort pour atteindre les côtes espagnoles est « Barça wala Barsacq », « Barça ou le Paradis » en wolof. Comment peut on décemment affirmer que des personnes désespérées au point d’envisager la mort pour fuir les conditions de vie misérables de leur pays ne méritent pas d’être accueillies dans le « Pays des Lumières »?

Où serait aujourd’hui Manuel Valls, lui-même fils d’immigré espagnols, si sa famille avait dû faire face à une telle intransigeance ?

Mes parents sont venus en France dans les années 1970, pour s’assurer ainsi qu’à leur descendance une vie décente. J’ai grandi en ayant conscience de leur sacrifice, de l’arrachement qu’a été leur départ de leur pays, de l’éloignement des êtres chers, du défi qu’a représenté le fait de se faire une place dans un nouveau pays – parfois confrontés au mépris ou à l’hostilité – où ils ont dû tout reconstruire.

Née en France et française, je suis titulaire d’un passeport qui me permet d’aller presque partout dans le monde sans me poser de question. Les membres de ma propre famille ayant eu le tort de naître du côté obscur de la Méditerranée sont eux assignés à résidence par les discours belliqueux de politiques davantage préoccupés par la défense de leurs intérêts électoraux que par le respect de la Déclaration Universelle des Droits Humains dont l’article 13 énonce deux principes simples « 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

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A chaque fois que j’échange avec mes cousins africains, j’ai honte de bénéficier d’une telle injustice.

Alors que les responsables politiques allemands de droite comme de gauche se sont évertués depuis plusieurs semaines à expliquer à leur opinion l’urgence de l’accueil des réfugiés tout en usant de pédagogie pour que les Allemands comprennent que leur pays est en mesure de les recevoir, j’ai honte de voir à quel point le manque de courage de notre classe politique française l’embourbe dans un verbiage de repli. J’ai honte de voir combien nous peinons à assumer une position humaniste qui ferait pourtant honneur à notre devise républicaine.

Les migrants représentent 0,05% de la population de l’Union Européenne et la France est loin d’être le plus accueillant, notre taux d’acceptation de l’asile est plus bas que dans bien des pays (21,7 % contre 41,6 % en Allemagne et 76,8 % en Suède). Malgré la crise migratoire nous figurons parmi les rares pays dont le nombre de dossiers de demande d’asile a diminué. Même les migrants désemparés ne sont plus dupes quant à l’émoussement des principes proclamés en France.

J’ai honte de vivre sur un continent dont la politique migratoire consiste à dresser des murs – 13 milliards d’euros dépensés depuis 2000 – où l’on choisit de dépenser de l’argent dans des barricades au lieu de l’investir pour sauver des destinées humaines. J’ai honte d’être représentée par des gouvernants qui considèrent que l’on peut être coupable de fuir la misère.

J’ai honte de constater que ce pays que ma famille a choisi pour qu’il devienne le mien ferme aujourd’hui ses portes à mes sœurs et frères désespérés qui l’appellent au secours.

 

Source : Le blog de Rokhaya Diallo rokmyworld.fr

 

 

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