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Souleymane Diamanka : Slameur, Peul et Bordelais

Dans ses textes poétiques, le slameur franco-sénégalais porte haut sa double culture pour en faire un chant universel.

Ses textes, en français et en pulaar, sa langue maternelle, rebondissent comme des balles dans un palais tapissé de rimes, tout comme les balles de ce jongleur qui a suivi l’école du cirque avant de se consacrer à l’écriture. Souleymane Diamanka chante sa double culture peule et française.

L’artiste slame ses origines peules en commençant par décliner son origine: fils de Boubacar Diamanka et de Djeneba et c’est déjà tout un poème. Son vrai nom est d’ailleurs Duadja Djeneba, «le vœu exaucé de sa mère» en peul. Cette dernière a donné naissance à son fils en 1974, alors que le père, tailleur au Sénégal, était déjà parti en clandestin pour la France où il deviendra ouvrier chez Ford. A l’âge de deux ans, Souleymane, sa mère et ses deux grandes sœurs rejoignent le père, à Bordeaux, Cité des Aubiers.

Tu parleras pulaar, mon fils

A la maison, les enfants sont priés de ne parler que le pulaar. Le français, c’est pour l’école et la vie extérieure. Les parents en profiteront: «nous avons été des professeurs de français pour eux. Mon père faisait mes devoirs en apprenant en même temps que moi.» Chez les Diamanka on apprend les uns des autres et pas les uns contre les autres. Cela ne va pas sans douleur:  

«Au début l’interdit était fort. Ne pas parler français à la maison, ce n’était pas évident, confie l’artiste. Mais plutôt que de voir se creuser le fossé entre les parents qui ne parlent pas le français et les enfants qui ne parlent plus la langue maternelle, nous avons tous beaucoup mieux assumé la double culture de cette façon.»

Peul avant d’être Bordelais, le jeune garçon parle de cette première appartenance comme d’une main qui l’a caressé depuis la naissance. Il dit avoir été bercé par des contes qui ont formé jusqu’à son subconscient: 

«Etre peul, c’est un code de conduite, un comportement, une éducation, des préceptes, des bénédictions qui vous conditionnent. On se reconnaît entre nous quel que soit le lieu où l’on se rencontre, nous ne sommes jamais seuls.»

Les mots de sa mère sont pleins de cette poésie qu’il apprendra comme un genre à l’école. Et les phrases de son père, de véritables récits qui l’initient à l’art de raconter. La langue est faite de rimes qu’il va utiliser dans son travail artistique.

En peul, «Cet arbre» se dit «ki lekki»,

«Cette femme», «o debbo».

Tout est rime.

Entre palindromes et holorimes

«Le fait d’avoir une langue maternelle autre que le français donne des facilités. On entend toujours autre chose et cela est toujours d’une grande richesse. Si un Français dit « Atchoum », un Peul entend « Accu um », autrement dit: « laisse-le! »», explique Souleymane, que l’on suit, captivé, dans cette gymnastique linguistique créative dont il fait son miel. Dans les poèmes qu’il écrit dès l’enfance, dans les chansons qu’il compose, toutes les figures de style entrent dans la danse, tel cet holorime: «la peau hésitante/ la poésie tente.»

Au festival Africajarc, dans le sud-ouest de la France, il a chanté une nouvelle fois avec son ami polonais slameur John Banzaï avec lequel il a écrit J’écris en français dans une langue étrangère (ed. Complicités), chacun apportant le son de sa langue maternelle aux compositions. De la musique peule, Souleymane utilise aussi les sons du ngoni (violon) en se nourrissant d’une culture que son père transmet à ses enfants sur des cassettes enregistrées depuis leur enfance. Parce qu’il travaille toute la journée et ne les voit pas assez, l’ouvrier a communiqué par ce biais avec ses enfants. Et la pratique s’intensifie quand la fille aînée de Boubakar Diamanka écrit son mémoire sur les Peuls. Elle commence à enregistrer le témoignage de son père, et d’autres, dans la Cité des Aubiers où elle a grandi, et ailleurs. Quand il vivra à Paris, hébergé par sa sœur, Souleymane découvre alors ces cassettes dont le contenu le fascine.

«Cette casséthothèque de baaba (papa) raconte tout du village, et de notre culture. On y apprend le nom des saisons et ceux des animaux. C’est un véritable bouquin que mon père nous a laissé, et que je compte bien numériser. J’utilise ce patrimoine dans mon travail.»

C’est ainsi qu’est né L’hiver peul, son premier CD, sorti en 2007, où se retrouvent des textes écrits sur une longue période de quinze ans, et où il invite le griot Sana Seydi. Avant de faire le pari de l’écriture, le jeune homme avait répondu au défi de son père qui manie les proverbes peuls comme une philosophie en action de la vie. L’un d’entre eux disait:

«Tout ce qu’un homme a fait, un autre peut le faire, la différence c’est « munyal » une notion qui réunit le pardon et la patience.»

Fort de ce défi, Souleymane décide d’aller vers ce qui est le plus éloigné de ses capacités: l’adresse, le cirque. Il se forme à cette école, mais l’abandonne au bout de quelques temps, car les mots le rattrapent. Son premier groupe de rap, Djangu Gandhal (qui signifie en quête de connaissance), lui vaut en 1991 un certain succès, notamment les premières parties de NTM, et d’écrire des textes pour Les Nubians, un duo de chanteuses franco-camerounaises. La version américaine du film Les visiteurs utilise dans la bande son, l’un de ses titres, gros pactole de droits d’auteurs qui aide dans les moments difficiles… Un autre proverbe peul, transmis par le père dit: «Dieu aide les gens qui sont bons.»

La magie des proverbes

«Mon père a cette force des proverbes avec lui, à la fois naïfs, simples, mais d’une grande vérité. Il m’a légué cette force qui m’a permis d’avoir confiance en moi. Je suis monté à Paris, un jour, en misant tout sur l’écriture.»

 Au moment où la confiance menace de le quitter, Souleymane essaie un «attentat poétique», cette manière de s’adresser à quelqu’un en lui déclamant un poème par surprise, avant de filer. Il rencontre par hasard l’acteur et scénariste français Jean-Pierre Bacri dans le quartier de la Bastille à Paris, un de ces hommes vers lesquels il avait envie d’aller. Ce dernier, sensible à ce qu’il vient d’entendre, lui donne dans la main de quoi faciliter les semaines qui viennent… Ce geste est salvateur: Diamanka s’installe à l’hôtel, met ses textes sur Myspace. Un producteur les découvre. Bingo! Une grande maison de disques, Universal, le signera. Sortie de L’hiver peul. La confiance a porté ses fruits.

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Depuis, le poète tourne un peu partout dans le monde, rêve de retourner aux Etats-Unis où son concert devant la communauté peule de Brooklyn fut un grand moment de partage. Entretemps, il vit d’ateliers d’écriture, de tournages au cinéma, voix off et petits rôles dans Case départ de Fabrice Eboué, ou encore Sabres de Cédric Ibo. Son parcours sous le signe de l’ouverture a été jalonné de rencontres importantes, comme celle de Grand Corps Malade, qui intervient sur son CD, ou encore celle du poète Yvon Le Men, et du festival Etonnants Voyageurs qui l’a régulièrement invité.

«Je suis passé du rap au slam, et je fais la différence entre ce que j’écris pour la musique et les vrais auteurs que je connais. Eux écrivent avec une autre musicalité, celle de la littérature. Cet océan où j’ai envie de me jeter, moi qui suis pour l’instant dans la piscine.»

Retranscrire l’oralité

Dans un documentaire d’Emmanuelle Vial, dont il est l’un des personnages principaux, le slameur raconte qu’il n’a jamais écrit ses textes, mais les a toujours mémorisés. Jusqu’au moment où il a fallu retranscrire de mémoire les textes de son album pour les protéger!

Et si Diamanka père continue de transmettre ce qu’il a à dire à ses enfants sur des cassettes (en attendant de passer au dictaphone numérique), qu’il s’agisse de culture ou de résolution de conflits familiaux, Souleymane, lui, projette d’écrire la biographie de son père de sa naissance jusqu’à son arrivée à la Cité des Aubiers. Et bien d’autres choses encore: un recueil de poèmes et une tragédie inspirée de Shakespeare, mais avec ses mots: Othello du guetto, tragédie greco-urbaine. Sans oublier l’inattendu auquel il reste toujours réceptif.

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A Cajarc, dans le sud-ouest de la France, où nous l’avons rencontré, il a pris langue avec des Peuls de passage, engrangé un projet avec un dessinateur de BD qui a envie de mettre une de ses chansons en images, et promis à Isabelle Gremillon de faire une lecture d’un livre pour enfants en peul, Kulle Dalle, paru aux éditions Timtimol, que cette dernière diffuse par sa structure nommée l’Oiseau Indigo.

Diamanka père a toujours dit à ses enfants:

«Oublie ce que tu es, deviens ce que je suis, et ensuite, rajoute ce que tu es par-dessus ce que je suis. Là, j’aurai réussi mon éducation, tu seras plus que moi.» 

«Mon père est un aventurier venu en France en clandestin, avec cette foi qui ne l’a jamais quitté, j’avance dans la vie comme lui», confie Souleymane, ce jongleur de mots et d’origines.

 

Source : Slate

 

 

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