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Situation des émigrés retraités de France : Le piège du retour

L’émigration a joué un rôle extrêmement important au niveau de beaucoup de localités dans le Fouta et ailleurs au Sénégal. Des infrastructures de base (écoles, postes de santé, maternités, forages), les émigrés ont largement contribué à l’embellissement de certains villages et autres hameaux du Sénégal. Sans occulter l’appui à l’éducation et à la nourriture. Toutefois, quand sonne l’âge de la retraite, certains peinent à quitter l’Occident particulièrement les émigrés retraités de France, pour diverses raisons que l’Envoyé Spécial de Sud Quotidien a pu percer avec l’appui de l’institut Panos de l’Afrique de l’Ouest.

Dans ce dossier, d’aucuns avouent être déconnectés avec notre façon de vivre après presque un demi-siècle passé Outre Atlantique. Certains, sont victimes d’une pression sociale qui n’épargnent pas les retraités. Enfin d’autres «fuient» le Sénégal parce que victimes d’un système qui s’est imposé à eux. Une sorte de piège du retour qui mérite d’être étudié par les autorités afin d’aider ces hommes et ces femmes qui semblent perdus.

retraites

Des murs délabrés, des chaises éparpillées un peu partout, point d’électricité dans les couloirs, une odeur pestilentielle se dégage des toilettes désertées depuis des mois. Il est difficile de croire qu’il y a encore des personnes qui vivent dans cette vieille bâtisse à cause de son état de délabrement assez avancé. Pourtant si. C’est le cas du vieux Samba. Agé de plus de 70 ans, il fait valoir ses droits à la retraite depuis des années. Dans une chambre mal éclairée, il semble surpris de notre visite. Il sursaute de son petit lit, éteint le chauffage qu’il a payé pour ne pas mourir de froid et ouvre le débat. «Vous avez vu Harouna. C’était le plus grand pourfendeur des retraités. Il nous disait toujours pourquoi on ne rentrait pas. A la limite, c’était humiliant de ne pouvoir fournir de réponse. Mais, actuellement, c’est l’effet boomerang qui s’est produit. Lui aussi est à la retraite, depuis maintenant un an, mais reste ici en France», confie le vieux Samba, fier de sa «revanche».
Il sort ensuite du réfrigérateur bar une bouteille de coca-cola, la pose sur une petite table avec deux verres pour servir ses hôtes de circonstance.

La question du retour des émigrés retraités est sur toutes les lèvres dans les foyers. Elle n’est plus taboue. Mais des supputations fussent tous azimuts sur leurs raisons du supposé ou réel refus de rentrer au bercail.

«Les gens peuvent penser tout ce qu’ils veulent, mais personnellement, j’avoue que je ne peux plus vivre au Fouta. Ça fait 50 ans que je suis ici. Je suis arrivé ici à l’âge de 20 ans. J’ai fait ce que j’avais à faire, c’est-à-dire ce pourquoi on m’avait envoyé ici, je crois. Mais je ne pense pas vivre le restant de mes jours dans mon village. Les choses ont beaucoup changé», tranche Hamady qui a 70 ans.

Un argument battu en brèche par un jeune qui nous a confié, sous le couvert de l’anonymat, que les raisons sont à chercher ailleurs. «Les gens doivent faire preuve de responsabilité. La plupart d’entre eux (les retraités) ont des jeunes femmes au village. S’ils refusent de rentrer, c’est qu’ils ne peuvent plus satisfaire leurs jeunes épouses. Quand ils travaillaient, ils rentraient pour rester un, voire deux mois, avant de retourner en France. Mais, avec la retraite, ils ne peuvent plus utiliser l’argument du travail», soutient-il.

Le piège du retour hante ainsi le sommeil de beaucoup d’entre eux, qui, avec leur pension de retraite, continuent encore à assurer la dépense quotidienne dans leur foyer, tout en essayant, en même temps, de survivre en France.

«Finalement, je me demande quand est-ce que nous serons heureux. La situation économique du pays (Sénégal) est tellement tendue que des jeunes n’arrivent plus à y trouver des emplois. Pire, dans des localités où nous venons par exemple, nous ne connaissons que l’émigration. Certains se permettaient même d’arrêter les études de leurs enfants pour les emmener à l’extérieur. Malheureusement, les temps ont changé. Désormais, pour obtenir un visa, il faut donner des arguments. Il faut justifier plein de choses. C’est un véritable chemin de croix. Un parcours du combattant dont on n’est jamais sûr de voir le bout du tunnel», souligne Saïdou qui condamne, par la même occasion, certains émigrés. «Il faut aussi reconnaître qu’il y a parmi nous, des gens qui ne pensent jamais à l’avenir. Ils croyaient qu’ils n’allaient jamais vieillir. Non seulement, ils flambent quand ils rentrent au pays alors qu’ils travaillent dans des conditions exécrables avec un froid glacial, mais ils n’ont rien épargné. Quand on a vécu 40 ans en France, il est difficile de vouloir brusquement rentrer au Fouta», soutient-il.
«Ils auraient dû avoir une maison de retraite sur la Petite Côte ou dans un endroit calme à Dakar pour finir paisiblement, conseille-t-il. Malheureusement, ils n’ont que des immeubles à Dakar. Quand ils vont à Dakar, toute la famille débarque. Ce n’est pas tenable».

Saïdou accuse aussi l’Etat du Sénégal de n’avoir aucune politique pour les retraités de la Diaspora. «Nous contribuons au PIB du pays. Selon certaines estimations les émigrés font entrer plus de 800 milliards de F Cfa par an, par des réseaux officiels. Mais, il n’y a aucune politique qui nous est réservée. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Et comme si cela ne suffisait pas, on nous fixe les prix des loyers (allusion à la loi sur la baisse des loyers, Ndlr). C’est le comble !», se désole-t-il.

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Nous avons contacté les services de la Direction générale des Sénégalais de l’Extérieur (DGSE) dirigé par Sory Kaba, présentement en dehors du territoire national. Mais, le retour des retraités ne semble pas inscrit dans l’agenda.

«Couloir des handicapés»

Dans un nouveau foyer que nous avons visité dans une ville française, la stigmatisation des retraités est plus que flagrante. «Regardez ce couloir, nous l’avons rebaptisé, le couloir des handicapés», ironise Hamady, considéré comme le plus grand «détracteur» des retraités. Pourtant, il vient lui aussi d’être appelé à faire valoir ses droits à la retraite. Mais, il reste quand même en France, contrairement à ses arguments d’autant.

En réalité, ces retraités ne sont pas des «handicapés». Ils souffrent juste de la vieillesse qui les cloue dans leur chambre, ne sortant que pour se restaurer ou pour se dégourdir souvent les jambes.
Nonobstant, la nouvelle architecture du Foyer qui non seulement répond aux normes de sécurité, d’aucuns se plaignent. «Ce n’est pas un foyer. Nous n’avons même pas de salle où tenir nos réunions. On nous contraint de rester dans nos chambres», fulmine un d’entre eux.

Un avis qui es loin de faire l’unanimité. Surtout du côté des jeunes. «Ce ne sont que les retraités qui disent ça. Nous, les jeunes, on bosse tous les jours à des heures impossibles. Nous avons besoin de nous reposer quand on rentre au foyer. Eux, ils veulent transformer ce nouveau foyer en Grand-Place comme c’était le cas dans l’autre foyer (en passe d’être démoli, Ndlr) que nous avons quitté. Malheureusement, ici, l’architecte a bien fait les choses. Chacun reste dans sa chambre. Il n’y a pas moyen d’aller déranger les autres», tonne un jeune sous couvert de l’anonymat. C’est ce qu’on pourrait appeler le conflit de générations.


DJIBY DIAKHATE, SOCIOLOGUE : «C’est une immigration échouée»

«C’est une immigration échouée !» Cette affirmation du sociologue Djiby Diakhaté face à la difficulté que certains retraités sénégalais en France éprouvent pour rentrer définitivement au pays.
Alors que certains s’interrogent sur ce phénomène où des personnes retraitées préfèrent encore partager des lits avec des jeunes qui peuvent être leurs petits-enfants, créant souvent des conflits de génération au lieu de rentrer au bercail pour mieux se reposer, le sociologue décrypte le phénomène à la limite cocasse.

D’abord, il relève une perte d’identité pour certains. «Cela pose un problème d’identité. La personne qui est dans le cadre de l’immigration, dans un autre pays, qui apprend la culture de ce pays, à y vivre, maîtrise les modes de vie, cette personne-là finit par avoir une autre identité», soutient Djiby Diakhaté qui animait, il y a quelques semaines, un colloque à Marseille (France) sur le retour des étudiants partis étudiés en Hexagone.

«En réalité, ajoute l’Universitaire, on considère qu’elle est sénégalaise d’origine, mais en termes de culture, en termes de mode de vie, en termes de représentation du monde, cette personne est quelqu’un qui appartient à une autre identité».
«Déjà dans l’Aventure Ambiguë, Cheikh Hamidou Kane posait ce problème là, fait remarquer Djiby Diakhaté. Samba Diallo qui a quitté le village des Diallobé et qui est allé en France, qui y a appris l’école française, qui a aussi été à l’université française et qui a connu le mode de vie des français et qui a dit : « Je ne suis plus un Diallobé. Je suis un occidental». L’idée, c’est que cette personne là, trouve des références, un nouvel idéal que ne lui offre sa société initiale».

En conclusion, concernant ceux qui ont perdu leur identité d’origine, Djiby Diakhaté, dira : «c’est par abus de langage que nous considérons ces personnes comme un sénégalais. Mais dans la réalité ces personnes sont beaucoup plus proches de la Francité que de la Sénégalité».

Quid maintenant de l’autre catégorie de personnes qui n’ont pas fait les bancs, mais qui n’avaient que leur force pour travailler ? Djiby Diakhaté répond : «C’est une situation d’échec de l’immigration. C’est une immigration échouée. Une immigration mal effectuée parce que l’individu cherchait un refuge, une intégration, une réussite dans une autre société. Malheureusement, cet individu soit, a été rejeté, soit n’a pas pu développer assez de compétences pour trouver sa place dans cette société d’accueil. Donc, à partir de ce moment là, on peut parler d’une immigration qui a connu un échec. Un individu qui ne réussit pas dans sa société d’accueil est un individu qui n’arrive plus à retourner dans sa société d’origine».

Rappelant la conférence qu’il a aminée à Marseille, il y a de cela quelques semaines, le sociologue confie : «normalement elle était destinée aux étudiants ressortissants d’Afrique pour poser la problématique du retour. Mais j’ai été surpris par la présence de personnes qui n’étaient pas étudiants, de vieilles personnes, de vieilles dames venues participer à cette conférence alors que c’était destiné aux étudiants».
Et d’ajouter : «après la conférence, une radio qui se trouve à Marseille appelée La Galère m’a interpellé pour parler de cette problématique du retour. Parce qu’il y avait une sorte d’effervescence. Donc, cela montre au fond, qu’il y a cette problématique qui est en train de traverser des sénégalais, des africains qui se sont installés en France depuis longtemps et qui se disent : ‘’aujourd’hui, si je retourne au pays, je vais me confronter à des difficultés. Parce qu’il faudra encore que je développe des compétences encore pour me réintégrer dans une nouvelle situation. Il faut encore que je réapprenne à reconnaître mon pays parce que j’ai perdu toutes mes connaissances de ce pays là, Il faut que je me reconstitue un univers d’amis, un environnement, un écosystème affectif dans lequel je vais me retrouver».
Or, dira-t-il, «quand on a un certain âge, il est clair que ça devient difficile. Au Sénégal, après un certains âge, les gens se rendent plutôt dans les lieux de culte, dans les grands-places. Et lorsque vous êtes dans les lieux de culte et que vous n’êtes pas préparés à ce type de vie avec toutes les contraintes qui l’accompagnent, en termes de connaissance des activités cultuelles, connaissances des écritures (…) ; lorsque ces choses ne sont pas assimilées, il est clair que l’individu n’arrivera pas à se réintégrer convenablement».

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«Un véritable drame»

«Ces gens vivent un véritable drame. Ce drame, c’est le fait de n’être ni là-bas, ni ici. C’est finalement une situation d’apatride, d’un individu sans patrie», soutient Djiby Diakhaté avant de prodiguer des conseils. «Ce qu’on devrait faire c’est de ne pas perdre ce groupe de personnes vivant cette situation. Il faut les utiliser pour former les candidats à l’immigration», conseille-t-il.


BABA HAMADY témoigne : «Mon plus grand regret… »

Contrairement aux autres retraités qui peinent à rentrer au Sénégal, Baba Hamady lui, confie n’avoir pas hésité à rentrer au bercail. Il ne semble pour autant pas heureux. Après ses 40 ans passés en France, il éprouve encore des regrets d’avoir choisi d’y vivre avec ses épouses et ses enfants. Il a accepté de briser le silence pour les lecteurs de Sud Quotidien. Témoignage…

«J’ai fait 40 ans en France. J’ai travaillé pendant tout ce temps dans une seule entreprise. J’ai construit une maison dans mon village pour y loger mes parents, puis mes enfants et mes deux épouses. J’ai aussi une autre maison à Dakar, à la Cité Fadia. Je devrais passer une retraite paisible. Hélas ! Je dois vous avouer que ce n’est pas le cas. D’abord, mes enfants, garçons et filles sont tous mariés avec des arabes ou des congolais. Alors que je rêvais de les voir se marier avec des parents Halpoular de préférence. A défaut des sénégalais. Mais, j’ai perdu leur contrôle dès qu’ils ont atteint l’âge de la maturité. Je dirais même qu’ils se sont rebellés contre moi, leur propre père. Peut-être à juste raison. Je me suis marié avec une jeune femme qui a l’âge d’une de mes filles. Ça a fait l’effet d’une bombe. Vous connaissez la culture toucouleur. Nous sommes des grands conservateurs. Les parents ont souvent le droit de vie et de mort sur leurs enfants. Mais, avec cette histoire de 3ème femme à Dakar, tout ça a volé en éclats.

Pourtant j’aime bien ma femme (la 3ème, Ndlr). Elle s’occupe de moi. Elle est à mes soins matin, midi et soir. Je sens que je rajeunis (sourires). Que les gens arrêtent de nous culpabiliser. Mes deux femmes qui sont en France sont plus préoccupées par des tontines, les voyages au village, les dahiras que de penser à moi, leur époux. Je ne contrôle plus leur mouvement. Que je sois à Dakar ou à Paris, ça leur est égal. Souvent, je regrette même de les avoir emmenées en France. J’aurais dû agir autrement. Par exemple, les faire juste accoucher à Paris pour les ramener ensuite au Sénégal. Là, je suis sûr que je ne perdrai jamais ma mainmise sur mes enfants qui ont aujourd’hui plus la culture occidentale, particulièrement française que la culture sénégalaise (Hal poular).

Souvent les gens nous jugent sans comprendre ce que nous endurons. Tout n’est pas rose dans l’immigration. L’autre face invisible et que nous cachons, fait très mal. Il y a beaucoup de souffrance. Nonobstant l’argent que nous envoyons aussi, nous n’avons jamais de reconnaissance. Nous faisons même des envieux, des jaloux sans le vouloir. On appelle Baba Hamady ici et ailleurs, ce n’est pas pour rien. Hamady, c’est souvent l’aîné. Mais aussi, celui qui incarne la puissance. Quant à Baba, c’est le patriarche. Mais que me reste-t-il de tout ça ? Je semble avoir tout perdu. Je vis seul sans mes enfants», confie-t-il, de façon interrompue.

«Absence de mainmise sur ses enfants»

Diagnostiquant les propos de Baba Hamady que nous avons soumis au sociologue, Djiby Diakhaté, l’universitaire soutient qu’«en réalité une fois que vous êtes là-bas (en Europe, Ndlr), vous n’avez pas le contrôle de la situation, vous êtes soumis à une autre législation, à une autre culture. Ça ne se passe pas comme ça devrait se passer au Fouta, au Cayor, au Sine ou au Saloum».

Et d’ajouter : «cette mainmise que le parent a grandement sur ses enfants ce n’est pas la même chose Outre Atlantique. En réalité, le regret de ce Monsieur (Baba Hamady, Ndlr) n’est pas de n’avoir pas marié ses enfants à des Halpoulars ou des Sarakhoulés mais de n’avoir pu avoir la mainmise sur ses enfants». «En occident, vous perdez cette mainmise, les enfants ont plus de liberté. Ce sont des enfants nés en Europe et qui ont la nationalité d’un pays européen. Donc, vous n’avez plus la possibilité d’agir d’une certaine façon par rapport à ces enfants là. Parce que vous êtes dans un autre cadre culturel, dans un autre cadre institutionnel avec sa façon de fonctionner. Et donc les données de ce points de vue là changent», conclut Djiby Diakhaté.


REALISE PAR ABDOULAYE THIAM (ENVOYE SPECIAL)

 

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