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Présidentielle française : ce vote Le Pen qui interroge au Sénégal

Présidentielle française : ce vote Le Pen qui interroge au Sénégal

À Dakar, l’élection présidentielle française continue d’animer les conversations. Les échanges, parfois vifs, à ce sujet sont toujours passionnés, tant entre Sénégalais qu’au sein de l’importante communauté française. Dimanche 23 avril dernier donc, celle-ci était appelée à se rendre aux urnes pour le premier tour dans l’un des cinq centres de vote de la capitale sénégalaise prévus à cet effet. À l’entrée de celui disposé dans l’enceinte du lycée français Jean-Mermoz, dix affiches représentant les différents candidats à la présidentielle sont placardées à l’entrée. Toutes sont là, sauf une : celle de Marine Le Pen. Son équipe n’aurait pas envoyé d’affiche, explique-t-on à l’ambassade de France.

L’incompréhension face au vote Le Pen

Pourtant, c’est bien elle qui, au lendemain du vote, monopolisera les conversations. Sa présence au deuxième tour sera largement commentée. Mais peut-être pas autant que son score à Dakar… Sur les 13 779 Français inscrits sur les listes électorales au Sénégal, 5 465 ont effectivement glissé un bulletin dans l’urne ce dimanche 23 avril, soit un taux de participation de 39,6 %, nettement inférieur à la moyenne nationale (78,69 %). Emmanuel Macron, lui, est arrivé en tête avec 29,85 % des voix, talonné par François Fillon (26,94 %), lui-même suivi par Jean-Luc Mélenchon (22,80 %) et Benoît Hamon (8,7 %). Marine Le Pen, quant à elle, arrive cinquième avec 7,35 % des voix.

C’est peu au regard de son score global (21,9 %). Mais déjà beaucoup trop, considère-t-on ici. Au pays de la Téranga, qui revendique sa tradition d’accueil, ce résultat passe mal. D’autant qu’entre 2012, date du dernier scrutin présidentiel, la présidente du Rassemblement bleu marine a progressé de 182 voix : 216 voix à l’époque contre 398 voix aujourd’hui. Un score symbolique sur le plan numérique, diront certains, mais « élevé au regard de la traditionnelle hospitalité sénégalaise », a commenté la presse locale. « C’est quand même désespérant », s’est offusqué le quotidien dakarois Libération.

« Du dégagisme, pas du racisme » pour les pro-Le Pen

Pas facile d’approcher les électeurs qui ont voté « Marine » au premier tour à Dakar afin de cerner leurs motivations. Voter pour le Front national n’est, quoi qu’on en dise, pas anodin. Surtout ici. Du coup, rares sont ceux à afficher ouvertement leurs convictions pro-Marine. Et ceux qui le font écartent d’emblée « l’accusation » de racisme. « Je vis au Sénégal depuis plus de 30 ans. J’y ai créé beaucoup d’emplois », explique cet entrepreneur qui a voté pour la candidate du Front national. « Je ne suis pas raciste, mais en colère contre la classe politique de mon pays », poursuit-il. Sortir les sortants, renverser la table, est la motivation qui revient le plus souvent en effet. La mode, il est vrai, est au « dégagisme », terme popularisé par Jean-Luc Mélenchon durant la campagne pour appeler au renouvellement intégral de la classe politique.

Et l’immigration ? « La question est taboue », nous indique cette autre Française vivant à Dakar, directrice d’une agence immobilière. Elle, a voté Mélenchon au premier tour. Pour les mêmes raisons. « Je me voyais mal voter Le Pen vivant au Sénégal », explique-t-elle pudiquement, sans jeter la pierre sur ses compatriotes qui ont franchi le Rubicon. « Le ras-le-bol est tel que les gens sont prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain », conclut cette cinquantenaire énergique, originaire de Marseille.

Les Sénégalais circonspects

Du côté sénégalais, c’est la circonspection qui domine. « Voter pour l’extrême droite quand on vit ici, cela n’a-t-il pas quelque chose de paradoxal ? », fait mine de s’interroger Alassane qui dirige une petite entreprise de photocopie dans le quartier de Mermoz-Sacré Cœur. Awa, une étudiante en droit à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, dit en revanche comprendre le vote en faveur de Marine Le Pen, même si elle ne le « cautionne pas ». « Certains de nos compatriotes voient d’un bon œil ses propositions en faveur de la remise en cause de la Françafrique ou encore du franc CFA », avance-t-elle en guise d’explication. Lors du premier tour de cette présidentielle, nombreux sont les Français de l’étranger à s’être mobilisés. Au 1er janvier 2017, ils étaient 1,7 million (dont 41,4 % de binationaux et 15 % à vivre en Afrique) à s’être inscrits sur les registres consulaires pour accomplir leur devoir civique en cette année chargée sur le plan électoral. Dimanche 23 avril, 1,3 million d’entre eux ont glissé un bulletin dans l’urne.

Marine Le Pen dans les urnes en Afrique

En Afrique, Marine Le Pen est arrivée en tête dans un seul pays : à Djibouti, avec 27,2 % des suffrages exprimés. Ailleurs, ses résultats sont plus mitigés : relativement élevés aux Seychelles (15,53 %), au Gabon (13,72 %), en Guinée-Équatoriale (13,53 %), en Afrique du Sud (11,18 %), à Madagascar (9,63 %), au Congo-Brazzaville (9,39 %) ou encore au Nigeria (8,25 %) ; plus modestes, en revanche, au Mali (5,25 % des voix), au Cameroun (7,56 %) ou en Côte d’Ivoire (7,64 %). Globalement, le vote en faveur de Marine Le Pen est plus élevé en Afrique centrale qu’en Afrique de l’Ouest et surtout du Nord (4,14 % au Maroc, 3,31 % en Tunisie et 2,15 % en Algérie), en Afrique francophone qu’en Afrique anglophone et lusophone. Au final, Marine Le Pen, avec 6,48 % des suffrages glanés hors du territoire national, obtient un score relativement faible auprès des Français de l’étranger, loin derrière Emmanuel Macron (en tête largement avec 40,40 % des voix) et sans commune mesure avec ses résultats en métropole et dans les départements d’outre-mer. Sur l’ensemble du continent africain, son score moyen s’élève au final à 7,75 % des suffrages exprimés.

Ce dimanche 7 mai, à l’occasion du second tour de scrutin, nombreux sont ceux, à Dakar comme ailleurs dans le pays, qui auront les yeux rivés sur leur écran de télévision pour suivre l’épilogue de cette présidentielle française. Plus qu’une curiosité, une forme d’engouement qui trahit, malgré tout, les liens de grande proximité entre le Sénégal et la France.

 

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