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Près de Saint-Louis du Sénégal, la mer engloutit les villages

Devant les maisons du village de Pilote Barre, des pneus s’ensablent inexorablement sur une plage qui disparaît peu à peu. La marée, ennemi invincible, avale ces remparts dérisoires. Les grosses pierres semblent, elles, pouvoir encore résister aux assauts de l’océan, mais pour combien de temps ?

Depuis plusieurs années, les villageois du Gandiol, région d’environ 25 000 habitants à quelques kilomètres au sud de Saint-Louis du Sénégal, se savent en sursis. Ils souffrent d’une décision catastrophique prise en octobre 2003 : pour protéger Saint-Louis – classé au Patrimoine mondial de l’Unesco – d’une crue du fleuve, le gouvernement annonce le creusement d’une brèche de quatre mètres dans la langue de Barbarie. Cette bande de sable qui s’étend de la Mauritanie au sud de Saint-Louis constituait alors une barrière naturelle entre l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal. Une protection déjà fragilisée par la montée du niveau de la mer, due au changement climatique.

L’opération était censée ouvrir un canal de délestage, faciliter le déversement des eaux du fleuve dans l’océan et contenir la crue. Mais, dès les premiers jours, la brèche s’est élargie. Elle atteint désormais près de 3 kilomètres sur une langue de Barbarie qui en mesurait 25. Quant à l’embouchure naturelle, elle s’est ensablée.

L’EAU PROGRESSE SUR LE RIVAGE DE 17 À 18 MÈTRES PAR AN

« La brèche s’agrandit vers le sud, les marées dans l’ancien estuaire prennent de l’ampleur et atteignent maintenant les villages sur la côte, qui ne sont plus protégés par la langue de Barbarie. Si les habitants ne reculent pas à l’intérieur des terres, ils sont condamnés », alerte Amadou Abou Sy, docteur en géographie à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.

Le scientifique s’indigne de l’amateurisme qui a guidé le gouvernement.

« On a creusé en une nuit, à la hâte, sans aucune étude d’impact. Saint-Louis était menacé, mais ce n’était pas la première crue de cette ampleur. On aurait pu anticiper en draguant le fleuve. »

Aujourd’hui, déjà deux villages du Gandiol ont disparu sous les eaux. Situés en face de la brèche géante, ils n’ont pu résister à la force des vagues : ici, l’eau progresse sur le rivage de 17 à 18 mètres par an. Seule la mosquée de Keur Bernard rappelle l’existence de ce hameau d’environ 250 habitants. La petite bâtisse rose a déjà les pieds dans l’eau, et d’ici quelques jours, elle aura sombré.

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DÉMÉNAGER LES MAISONS

A Doun Baba Dieye, c’est un arbre noyé qui permet de retrouver l’emplacement du village qui comptait 700 personnes. Seules quelques branches se dressent hors de l’eau, comme un appel désespéré à un sauvetage qui n’a jamais eu lieu. Pilote Barre est le prochain sur la liste.

« Le fleuve avançait déjà avant 2003, se souvient Ismaël Diop, chef du village, mais jamais à la vitesse qu’il a atteinte après l’ouverture de la brèche. Notre terrain de foot a disparu en quelques années. »

En dix ans, l’écosystème de toute la région s’en est trouvé modifié. L’eau saumâtre de l’estuaire est devenue entièrement salée.

« On a vu apparaître des coques, des huîtres, des nouvelles espèces de sardines, explique Lamine Diop, ingénieur en pêche et aquaculture. C’est bon pour l’économie, encore faut-il que les gens sachent les utiliser », ajoute-t-il.

Enfant du village, le jeune homme a monté une association, l’Index sénégalais d’initiative au développement (Inside), qui enseigne les techniques de transformation des crustacés et sensibilise à l’environnement.

« Nous sommes tout près d’un parc national, on y trouve des espèces rares d’oiseaux, mais très peu de villageois ont conscience des richesses qui les entourent », regrette Lamine.

« EN VOULANT SAUVER SAINT-LOUIS, ON A SACRIFIÉ TOUT LE GANDIOL »

Isolés, démunis, les jeunes demandent l’assistance de l’Etat pour déménager les maisons les plus proches de l’eau.

« Nous sommes maintenant en pleine mer. En voulant sauver Saint-Louis, on a sacrifié tout le Gandiol », dénonce l’ingénieur, amer.

Autre victime de cette brusque montée des eaux : le tourisme. Jean-Jacques Bancal avait installé son campement depuis 1994 sur la langue de Barbarie, offrant à ses clients un panorama unique, entre océan et fleuve. Ce site paradisiaque n’est plus qu’un souvenir. En février, l’hôtelier a été contraint de démonter le site et de tout charger sur une barge pour aller de l’autre côté de la rive, beaucoup plus au sud.

« Notre campement était sensible, concède Jean-Jacques Bancal, mais jamais on n’aurait pensé qu’il serait englouti en seulement quelques semaines. »

Ce fils de Saint-Louis encourage les habitants du Gandiol à anticiper le drame qui arrive.

« On sait tous que ce problème n’est pas une priorité pour l’Etat, qui nous aide une fois qu’on a commencé à se prendre en main, témoigne Jean-Jacques Bancal. Si je n’avais pas trouvé un terrain et pris les devants, j’aurais tout perdu. »

« L’ÉROSION MENACE, À CAUSE DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE »

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Seul un membre du gouvernement a tenté quelque chose : Haïdar Al-Ali, ministre de la pêche, a débarqué au début de l’année sur la langue de Barbarie avec soixante camions de pneus.

« Ce qui devait devenir un tapis pour retenir le sable a été englouti en une marée. Si la population s’était sentie concernée, je pense qu’on aurait pu ralentir l’élargissement de la brèche », soutient ce défenseur de l’environnement connu au Sénégal.

Les villageois répondent qu’on ne leur a pas expliqué l’opération… L’énergie du ministre avait pourtant incité les villageois du sud du pays à replanter plus de 13 000 hectares de mangrove depuis 2006.

« L’érosion menace toutes nos côtes, à cause du réchauffement climatique, mais surtout c’est la main de l’homme qui est à l’œuvre », se désole Haïdar Al-Ali, rappelant les pillages de sable sur les côtes.

Saint-Louis, l’ancienne capitale coloniale n’est pas sauvée. L’érosion de la langue de Barbarie la menace inéluctablement.

 

Le Monde

 

 

 

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