Installé en France depuis plus de trente ans, le cancérologue sénégalais rêve aujourd’hui de mettre ses compétences au service de l’Afrique.
Solide gaillard de près de 2 mètres – il doit se baisser pour passer les portes -, Adama Ly est l’archétype du « type sérieux ». Sa carte de visite parle pour lui : docteur en immunologie et en oncologie (l’étude des tumeurs cancéreuses) ; chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à Paris ; président-fondateur d’Afrocancer, un réseau international spécialisé dans la prévention, la formation et la recherche sur le cancer en Afrique.
Respecté par ses pairs, qui le jugent unanimement sympathique et louent volontiers son professionnalisme, le docteur Ly a fait un parcours sans faute. Entre recherche et humanitaire. Au lycée Faidherbe, à Saint-Louis du Sénégal, que fréquenta naguère, entre autres personnalités, l’ancien président Abdou Diouf, Adama est l’élève parfait : travailleur, appliqué et discret. En 1983, en classe de terminale, il remporte le concours général, puis, dans la foulée, décroche une bourse d’études en France.
À Nice, où il s’inscrit à la faculté de médecine, puis à Bordeaux, où il suit les cours de l’Institut Bergonié, le centre régional de lutte contre le cancer, il mène une vie monacale. Priorité absolue aux études… En 1989, Adama Ly décide de se spécialiser en oncologie. Ce choix est presque un acte de rébellion. En tout cas, une volonté de sortir des sentiers battus : en France, la grande majorité des étudiants africains en médecine se spécialisent dans les maladies tropicales…
« L’étude du cancer est au carrefour de plusieurs disciplines qui m’intéressaient, comme l’immunologie, la biochimie et la chimie moléculaire, explique-t-il aujourd’hui. Mais tout le monde s’étonnait qu’un Africain choisisse d’étudier le cancer et pas le paludisme ! »
Les clichés ont la vie dure, même chez les scientifiques.
« En 1997, je suis parti à San Diego, en Californie, où tout le monde se fiche de votre origine. J’y ai appris une technique de thérapie génique. Lorsque, quatre ans plus tard, j’ai débarqué à Halle, dans l’ex-Allemagne de l’Est, pour transmettre cette technique, les chercheurs locaux ont été surpris : des stagiaires africains, ils en avaient vu souvent, mais un formateur… »
À l’Inserm depuis 2002, Adama Ly se sent dans son élément.
« J’ai fait de la thérapie, raconte-t-il, j’ai été au contact du public, mais j’ai préféré arrêter. Je suis davantage attiré par la recherche. Trouver un médicament ou les causes de la maladie, aller voir ce qui se passe dans les éprouvettes, c’est ça ma passion. »
Est-ce en raison de sa grande timidité ? Quoi qu’il en soit, le cancérologue est plus habitué à donner des interviews à des revues scientifiques qu’à parler de lui.
Son enfance ? Il s’étonne qu’on s’y intéresse mais se prête à l’exercice. Il est né à Thiès, à 70 km de Dakar. Fils unique, il a suivi son gendarme de père au gré de ses affectations successives. Au moment d’entrer au lycée, il est allé vivre chez ses grands-parents, à Saint-Louis. Les confidences n’iront pas plus loin. À quoi bon parler de soi lorsqu’on ne travaille que pour les autres ? Combien de spécialistes ? Adama Ly ne se montre loquace que pour parler de son métier.
« En Afrique, explique-t-il, on parle peu de la lutte contre le cancer. Les autres maladies endémiques comme le sida, le paludisme ou la tuberculose ont des symptômes visibles. Le cancer est plus pernicieux. Sur le continent, il n’existe que très peu de cancérologues, faute de moyens. Et les médicaments sont hors de prix. »
Voilà pour le diagnostic. Le remède ? Afrocancer, une association qu’il a créée en 2005 afin de multiplier les échanges Nord-Sud sur la question.
« Le but est de toucher directement la population, de faire en sorte que le savoir ne reste pas dans les universités. Il faut s’investir dans le champ social. Un petit centre de chimiothérapie vient d’ouvrir à Dakar ; la diaspora se montre disposée à soutenir le projet. Je sens que ça bouge. »
Un peu grâce à lui. Car si Adama Ly parle peu, il écrit beaucoup. En 2007, outre divers articles dans des revues scientifiques internationales, il a publié Le Cancer en Afrique, une étude qui a reçu le soutien de l’Institut national du cancer (Inca). Au total, coordonner le travail de 136 chercheurs, dans 32 pays, a nécessité trois ans de travail.
« L’idée du livre m’est venue lors de vacances au Sénégal, confie-t-il. Plusieurs personnes sont venues me montrer leurs analyses médicales. Ils avaient des cancers, souvent en phase terminale. J’ai pris conscience de l’importance de cette maladie, mais je ne disposais d’aucune donnée de terrain précise. Aujourd’hui, l’ouvrage est quasiment en rupture de stock. On cherche un éditeur capable de diffuser le livre dans les bibliothèques africaines. Ce qui permettrait de sensibiliser les étudiants des filières générales et les inciter à se spécialiser. »
Et concernant son avenir professionnel,
« Je me plais en France, mais si, un jour, la possibilité d’aider les gens sur le continent, d’y développer le Plan cancer voire d’y enseigner s’offrait à moi, j’accepterais. J’ai été boursier, je me sens redevable.»
Et Adama d’ajouter
j’ai vécu plus longtemps en France qu’au Sénégal. Lorsque je me rends dans mon pays natal, je suis un peu déboussolé. La vie y est devenue tellement dure pour les jeunes… À mon époque, on ne pensait qu’à travailler, à être le premier à l’école. On visait l’excellence.
Bien sûr, Adama Ly n’a rien perdu du sérieux de sa jeunesse. Mais, désormais, il lui arrive aussi de prendre un peu de bon temps. Car il y a une vie après les tubes à essai ! Il sort volontiers dans les restaurants africains de Paris, participe chaque année à l’organisation d’un festival rock à Malestroit, en Bretagne, et se connecte quotidiennement sur le site du journal sénégalais Le Soleil.
Source : Jeune Afrique