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En bon pigeon, je suis victime d’une « arnaque Western Union »

En bon pigeon, je suis victime d’une « arnaque Western Union »

Tom Barker, ça vous dit quelque chose  ? Non  ? A moi non plus, ça ne me disait rien. Mais ce margoulin m’a dépouillée de 1 800 euros et je ne suis pas près de l’oublier. Il m’a fait plonger – de bon gré – tête la première dans une bonne vieille arnaque sur Internet, de celles auxquelles j’aurais juré que jamais, non jamais je ne pourrais décemment me laisser prendre.

Parmi des millions – que dis-je, des milliards – de pigeons potentiels, j’appartiens pourtant à une frange avertie  : avouons-le, je suis journaliste. Donc spécialement bien placée, en théorie, pour me renseigner sur mes interlocuteurs. Je me suis pourtant laissée salement plumer.

« C’était gros comme une maison  ! »

Quand j’’en ai parlé autour de moi, mes amis n’y ont pas cru :

«  Tu n’as pas fait ça ? Tu n’as quand même pas marché dans la combine  ? C’était gros comme une maison  !  »

Et bien si, et j’ai même galopé, hélas.

Mon sérieux en prend pour son grade et je vous livre l’histoire  : en dehors de mes piges, je suis traductrice occasionnelle. Inscrite à une banque en ligne de traducteurs, je reçois ici et là des sollicitations pour diverses collaborations. Souvent ennuyeuses à mourir et payées à un tarif dérisoire.

Cette fois, c’était différent  : on promettait une alléchante rétribution et un job distrayant – de quoi doublement éveiller la suspicion, normalement.

L’annonce était envoyée par un certain Tom Barker, donc, qui se disait mandaté par Secret Shopper. La société, qui existe bel et bien, offre à des entreprises la possibilité de faire évaluer le sérieux de leurs équipes sur le terrain (qualité de l’accueil, professionnalisme, etc.) par des enquêteurs travaillant pour elles et se faisant passer pour des chalands lambda.

Evaluer Western Union dans votre zone

Le premier message de Tom annonçait  :

«  Nous travaillons pour la branche européenne de Secret Shopper ® [notez le petit ® destiné à endormir la vigilance du candidat émoustillé, ndlr]. Nous recherchons des collaborateurs anglophones pour mener notre enquête.

Présentement, nous avons été payés pour évaluer les services d’une société prestigieuse, la Western Union. Celle-ci permet des transferts d’argent [le style s’empâte et je ne saisis plus, soudain, pourquoi rien n’a éveillé mon attention, ndlr]. »

La « mission » consistera à «  évaluer Western Union dans votre zone. Nous avons reçu de nombreuses plaintes relatives à leurs services de mauvaise tenue ». On m’enverra donc des travellers cheques que j’encaisserai à la banque.

Une fois la somme portée au crédit de mon compte, je garderai 200 euros en guise de « salaire » et retirerai le solde. Tom, mon nouvel ami virtuel, insiste bien  :

« En plus de votre salaire, il faudra soustraire de cette somme les éventuels frais bancaires. »

Il faudra virer le montant restant à une personne que l’on m’indiquera (et c’est là que se tient l’arnaque, mais lisez donc… ). Et rédiger un rapport, en anglais, sur l’agence évaluée.

Quatre chèques de 500 euros chacun

Une semaine plus tard, je tiens entre les mains l’enveloppe promise, envoyée d’Angleterre. Sans aucun nom d’expéditeur inscrit au dos. Normal, pensé-je, il faut agir incognito. Mes doigts palpitent en décachetant l’enveloppe. J’y découvre quatre chèques de 500 euros chacun, emballés dans une feuille de directives à suivre.

Je les retourne, les ausculte, et me convaincs qu’ils sont réels. C’est un miracle, pensé-je tout de même, qu’on m’envoie une somme si rondelette sans craindre que je m’évapore avec. Mais rien n’arrête plus le moteur de mon autopersuasion, lancé à toute puissance  : mes « employeurs » connaissent tout de même mon adresse et mon numéro de téléphone. Et puis… il y a des gens qui font confiance, c’est comme ça. La nature humaine est parfois bien faite.

Le cœur battant, je dépose les chèques et me sens investie d’une mission capitale. Cachée, mais capitale. Que j’ai d’ailleurs si bien dissimulée, moi qui d’ordinaire multiplie les sondages avant de me lancer, que personne ne m’a dissuadée.

Les quelques copines qui en ont eu vent ont bien trouvé que l’argent était un peu trop facilement gagné. Mais j’ai aussitôt coulé sous le plomb de mon ivresse les quelques doutes émis.

Tom est assez relax

Le jour tant attendu arrive. J’ai prévenu Tom Barker d’un retard causé par la banque. Mais Tom n’est pas inquiet. Tom est même assez relax. A deux reprises, il m’appelle pour vérifier que tout va bien – son accent cockney est aussi épais que faire se peut mais j’ai le sentiment qu’on se comprend vraiment, lui et moi (à vrai dire, je n’ai pas saisi un traître mot de ce qu’il dit).

En milieu de matinée, j’atteins le plafond de mes deux cartes en débitant 1 800 euros. Je ne pourrai plus rien retirer avant une semaine, mais qu’importe.

Je fonce à l’agence Western Union la plus proche – c’est à La Poste. J’attends patiemment mon tour, note mentalement ce qui étoffera mon rapport. J’ai déjà reçu des mandats par Western Union mais n’en ai jamais envoyé. Je me précipite sans rien lire, ne me sentant pas concernée par les affiches qui mettent les clients en garde contre les arnaques via Western Union.

J’ai presque déballé la liasse épaisse qui semble me brûler au travers de mon sac à main. Mais la situation déraille  : la somme est élevée et le guichetier émet des réserves. J’ai soudain trop chaud, je m’emmêle les pinceaux et l’homme se fâche. Je prends peur à cause du grondement menaçant des clients derrière moi, qui trouvent le temps long.

Je crains d’être dénoncée par le postier. Je suis à deux doigts de tout expliquer, mais je préfère battre en retraite. Avec, tout de même, un curieux doute, tout neuf, qui commence à poindre. Mais n’entame rien de ma résolution.

Je trouve une autre agence un peu plus bas sur l’avenue, où, cette fois, tout se passe d’une manière idéale. Bonne agence, à évaluer très positivement, noté-je intérieurement. Je vire mes 1 800 euros à un certain Paul Fauvet, qui, m’a dit Tom, «  se chargera d’évaluer le service de l’agence Western Union dans laquelle il viendra chercher les fonds  ».

Je respire enfin et rentre écrire mon rapport avec application. J’assaisonne au passage la première agence Western Union qui m’a si mal reçue, et envoie mon évaluation avec le numéro de transfert nécessaire au retrait des fonds.

Je tape «  Tom Barker Secret Shopper  »

Le doute m’accable soudain. C’est le moment que je choisis pour enfin lancer la simple recherche que j’aurais dû mener depuis le début. Les résultats donnés par Google sur les termes «  Tom Barker Secret Shopper  » me font entrevoir l’ampleur de ma candeur, mais bien tard  : le Net regorge de discussions portant sur le «  Western Union scam  » (« scam » signifiant arnaque en anglais).

Pire que la Méduse, mon ami Tom évolue sous une quantité folle d’identités plus bidon les unes que les autres  : Tom Parker, David Barker, David Baker, Guy Fernandez, Howard Twine ou encore Rita Xavier, Mark Grannum et aussi David Spinster.

Une fois l’argent liquide happé à l’autre bout de la chaîne, le pauvre pigeon en est pour son argent. Car les 2 000 euros que je croyais avoir touchés, et bien d’autres avant moi, n’étaient que virtuels  : même si le montant est apparu sur mon compte, les chèques sont en bois, ou faux ou volés, ou même déclarés tels par les fraudeurs.

Ce n’est en effet qu’au bout de 60 jours que les banques encaissent réellement les chèques payables à l’étranger – contre 10 pour les chèques français. Pendant ce délai, elles avancent la somme, en quelque sorte, au titulaire du compte sur lequel sont déposés ces chèques. Et s’ils rebondissent, elles se remboursent évidemment sur le compte de la victime. Le mien, en l’occurrence.

Cela laisse tout le temps nécessaire aux coupables, qui ont évolué sous un nom d’emprunt et utilisé des documents d’identité forgés de toute pièce, de prendre le large.

Seule avec mon effarement

Cette découverte me laisse seule avec mon effarement devant cette benoîte naïveté. Il aurait suffi de lire mieux le message, et j’aurais eu le choix pour tiquer  : l’« ordre de mission » douteux, le pseudonyme, l’adresse e-mail tout sauf officielle. Ou encore les coups de fils passés depuis son numéro officiel par ledit Tom, qui raccrochait avant que j’aie eu le temps de répondre, puis me rappelait d’un numéro masqué.

Si j’avais enquêté un peu plus, même à peine, j’aurais évité le piège – les sites de Western Union et Secret Shopper consacrent des pages entières à la mise en garde contre ces mauvais coups modernes.

En plus de la ruine qui guette, je pourrais, pourquoi pas, être tenue responsable de blanchiment d’argent, de fraude, de vol de traveller’s cheques, et que sais-je encore  ? Et si ce Tom et ses acolytes, qui connaissent mon adresse, se lançaient à ma poursuite  ? En attendant l’échéance, je guette frénétiquement mon solde bancaire, espérant voir apparaître un trou de 2 000 euros pour laisser enfin tout ça derrière moi.

Et puis ce n’est qu’à ce moment-là que je pourrai plaider ma cause au commissariat et appuyer ma démonstration de tous les documents soigneusement accumulés. Quant à la banque, elle s’en lavera probablement les mains auprès de son service des litiges, et je doute fort d’obtenir gain de cause d’un établissement qui n’est pas réputé pour sa mansuétude…

Et si tout cela était vrai ?

Du côté de Western Union, on m’a indiqué que l’argent avait été retiré à Londres le jour même du transfert. «  Merci d’avoir attiré notre attention sur ce problème  », m’a cajolée John O., du service client. «  Nous avons transféré l’information à notre service de sécurité à des fins de gestion interne.  » Une aimable fin de non-recevoir.

Aujourd’hui, un nouveau mail est arrivé dans ma boîte aux lettres  : Tom me félicitait de mon sérieux et m’indiquait qu’une nouvelle série de chèques m’avait été envoyée en vue d’une nouvelle mission. Mon cœur s’emballe, le doute reprend  : et si, après tout, c’était vrai  ?

Source : Rue 89

 

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