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Paris Dakar par la route: aux frontières du racket

Paris Dakar par la route: aux frontières du racket

Au mois de Juillet dernier, j’ai voulu refaire la route Paris-Dakar (5200 km au compteur, d’Epinay-sur-Seine en France à Thiès au Sénégal) alors que je m’étais juré de ne plus refaire la route après une première expérience désastreuse. Mais le goût de l’aventure a encore pris le dessus et j’aimerais cette fois-ci vous faire partager cette aventure riche d’enseignements sur le comportement exécrable de certains agents supposés maintenir l’ordre dans nos différents pays.

Si l’on vient d’acheter une voiture en France, il n’est plus nécessaire de refaire une carte grise à son nom si l’on compte l’envoyer au Sénégal. Par contre, il faut aller à la préfecture avec l’acte de vente et la carte grise barrée et leur dire que le véhicule est destiné à l’export et que vous voudriez juste enregistrer l’acte de vente à votre nom. Après vérification, ils vont vous délivrer un document avec le tampon de la préfecture qui va vous aider à traverser les frontières jusqu’au Sénégal.

Par contre si vous arrivez au port de Tanger rien qu’avec une carte grise barrée et un acte de vente, la douane marocaine se fera un malin plaisir de vous mettre des bâtons dans les roues et il y a de fortes chances que vous repreniez le bateau pour refaire 2000 km en chemin inverse et aller chercher ce fameux document. J’ai été témoin d’un cas pareil concernant un compatriote qui était obligé de reprendre le bateau pour Algésiras. Malgré toutes ses explications, la douane marocaine n’a voulu rien savoir, prétextant qu’il y a trop de voitures volées en Europe transitant par le Maroc.

Concernant la route, de Paris à Algésiras, la pointe sud de l’Espagne où l’on prend le bateau pour entrer en Afrique, on a 2000 km d’autoroute en passant par l’ouest, c’est-à-dire Paris, Bordeaux, Bayonne, Burgos, Salamanque, Cáceres, Séville, Algésiras. Cet itinéraire, bien qu’un peu plus long que celui de Madrid, a l’avantage d’être moins encombré et certaines autoroutes y sont entièrement gratuites. C’est ainsi qu’après une révision de ma voiture chez le mécanicien, je prends la route un dimanche matin très tôt.

Après 1500 km, j’arrive à Cáceres vers 22h. Je prends un hôtel au centre ville, 30 euros (environ 20 mille francs cfa) la nuit et après un bon diner, je me mets au lit pour me réveiller à 05h du matin et reprendre les 500 km de route qui me restent pour atteindre Algésiras.

A midi, j’arrive au port et là on se fait littéralement harcelé par des démarcheurs de toute sorte, qui cherchent tous à vous prendre des sous. Après s’être débarrassé d’eux non sans efforts, je me dirige vers les agences officielles pour y acheter mon ticket et j’ai dû débourser 140 euros pour un billet aller simple pour une seule personne avec voiture. Le passage aux formalités policières se fait sans encombre et 1h plus tard le bateau met le cap au sud. On quitte le continent européen pour l’Afrique et à cet instant je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour tous ces migrants morts noyés dans cette mer pour avoir voulu faire le chemin inverse.

La traversée de la méditerranée se fait en douceur et la police marocaine a eu l’ingénieuse idée de mettre à profit le temps de la traversée pour s’occuper des formalités. Et 01h30 plus tard, on débarque sur le continent africain par le port marocain de Tanger Med. On enregistre la voiture auprès de la gendarmerie royale qui nous donne un papier vert qui sert de passavant pour traverser le Maroc et qu’il ne faut en aucun cas perdre, on fait scanner la voiture et juste à la sortie du port, j’en profite pour changer 300 euros en dirhams dans l’un des bureaux de change du port. Tous mes papiers en règle, des dirhams pleins les poches, je mets le cap plein sud direction Agadir qui se trouve à 800 km de Tanger. Je prends l’autoroute et je traverse les villes comme Rabat, Casa, Marrakech. Je profite des aires de repos le long de l’autoroute pour faire le plein, manger et me reposer et à 02h du matin, j’arrive enfin à Agadir. N’ayant pas le temps de prendre un hôtel, je me gare dans une aire de repos pour essayer de dormir un peu et de me remettre de la fatigue. Je tombe sur des Maliens, des Ivoiriens, des Burkinabés et des compatriotes qui font tous la même route.

Après Agadir, fini l’autoroute, on prend une route nationale très étroite qui nous conduit jusqu’à la frontière à Guerguerat qui se trouve à 1500 km plein sud. La route n’étant pas confortable sans compter les cols escarpés et très dangereux que l’on doit franchir entre Tiznit et Guelmim, j’essaie d’atteindre Laayoune situé à 670 km d’Agadir avant la tombée de la nuit et y passer la nuit. A 6h du matin, je quitte Agadir en direction de Tiznit et Guelmim. Et là, commencent les contrôles de gendarmerie et de police, des contrôles qui vont nous suivre jusqu’à la frontière. Cette partie du Maroc est très contrôlée et les forces de l’ordre en profitent pour bien rançonner les véhicules aux plaques étrangères.

Le mode opératoire est bien rôdé. A chaque panneau halte, il faut s’arrêter et attendre que l’agent vous fasse signe d’avancer même si le poste est libre et si par mégarde, vous avancez sans qu’on vous fasse signe, vous êtes bon pour une amende qui peut aller jusqu’à 700 dirhams (environ 50 mille cfa). Et à chaque check-point on vous réclame tous vos papiers et ceux de la voiture. Ils vérifient si vous avez le gilet fluo, le triangle de sécurité et si les contrôles techniques ont été apposés sur le dos de la carte grise. Il y en a même certains agents qui poussent le racket jusqu’à vous demander d’appuyer sur le frein pour vérifier si tous vos feux de stop et de plaques fonctionnent. Sachant que la route est mauvaise et que les secousses peuvent faire griller les feux de stop et de plaques, ils en profitent pour soutirer des sous à tous les véhicules minus de plaques étrangères et ayant le moindre défaut.

S’ils n’ont rien à vous reprocher, alors ils vous demandent le petit cadeau de bienvenue en vous disant que Sénégalais et Marocains sont des frères, qu’il y a des Marocains mourides et tidianes et qu’ils connaissent tous nos marabouts et tout le tralala qui va avec. Et moi je leur réponds que les peuples marocains et sénégalais sont bel et bien frères mais cette fraternité ne concerne pas les agents des forces de l’ordre des deux pays. Et à chaque ville et jusqu’à la frontière, je prends le soin de vérifier mes feux de stop et de plaques pour échapper à ces vautours assoiffés de dirhams.

A 17h j’arrive à Laayoune, je me perds dans la ville et je demande mon chemin à un soldat marocain. Ce dernier m’indique mon chemin et puis sans que je ne sache pourquoi, il m’invite chez lui en me disant que je devais être très fatigué et que je pouvais venir prendre une douche chez lui, manger un morceau et me reposer un peu avant de reprendre la route. J’accepte son invitation et lui demande pourquoi il fait tout ça pour moi, il me répond qu’il l’a fait sans arrière pensée et qu’il connait bien l’Afrique et qu’il a été en poste en Côte d’Ivoire et qu’il avait juste envie de me rendre service. Je vais chez lui et comme promis, je prends une bonne douche, il me commande à manger et je m’allonge sur son canapé devant la télé pour m’assoupir un peu et pour cogiter un peu sur ce beau témoignage de l’hospitalité marocaine. Il me fait le thé et nous discutons un peu sur la vie en générale et sur la religion. J’ai été vraiment touché par cette hospitalité si rarissime de nos jours. Ouvrir sa porte à un parfait inconnu est devenu rare en ces temps si troubles et pourtant ce soldat l’a fait sans hésiter et il a fait de tout cœur sans attendre rien en retour.

A 19h, je prends congé de mon hôte et je tiens à lui offrir un cadeau en retour mais il n’a pas voulu le prendre malgré mes insistances. Sachant que j’ai encore un peu de temps avant la tombée de la nuit, je décide de continuer jusqu’à Boujdour, la prochaine ville située à 200 km de Laayoune et pour mieux me rapprocher de la frontière.

J’arrive à l’entrée de Boujdour vers 21h30 et au premier check-point, je me retrouve avec un feu de plaque grillé. Le gendarme me dresse un PV de 300 dirhams, environ 30 euros (20 mille francs cfa). Mais il est prêt à me faire une faveur en annulant le PV si je lui donne 200 dirhams. Sachant que je n’aurai pas le temps de le réparer et que je serai obligé de payer encore l’amende aux prochains contrôles, je lui dis que je préfère payer l’amende et avoir le PV sur moi. Déçu, il me fait la contravention et c’est avec ça que j’ai pu passer les autres check-points sans débourser un dirham. En ville, je cherche le premier hôtel et pour 20 euros, (200 dirhams) on me propose une chambre correcte avec clim et eau chaude. Je dîne dans un petit restaurant qui faisait de bonnes grillades et je monte me coucher.

Je me réveille à 06h du matin et prochain objectif, la frontière à Guerguerat située à environ 640 km de là. Je reprends la route en subissant les mêmes contrôles et tout juste avant Dakhla, la dernière grande ville du Maroc, je me fais flasher à 84 km à l’heure sur un virage limité à 60 km à l’heure. Les gendarmes étaient planqués tout juste à la fin du virage avec leur radar. Bilan des courses, je dois payer 500 dirhams, environ 50 euros (32.500 francs cfa). C’était la première fois que j’en croisais avec des radars. Ils m’expliquèrent que les automobilistes, arrivés à la dernière portion qui mène à la frontière, sont tous pressés d’arriver à la frontière avant la fermeture prévue à 18h et c’est pour cette raison qu’ils ont choisi ces endroits stratégiques pour mieux réprimer les excès de vitesse. Et moi j’en ai conclu que tous les moyens étaient bons pour détrousser les pauvres automobilistes munis de plaques étrangères avant notre sortie du royaume. Un des gendarmes a eu le culot de me proposer un arrangement quand il a su que j’avais déjà payé plus tôt un PV pour défaut de feu de plaques. Il voulait que je lui donne 300 dirhams pour qu’il annule le PV. Dégoûté, je lui dis niet et que je préfère payer les 500 dirhams. Déçu comme son prédécesseur, il me dresse le PV et je paie les 500 Dirhams que je préfère dans les caisses du royaume que les 300 dirhams dans leurs poches. A partir de cet instant, je réduis mon allure et je fis tout pour respecter les limitations de vitesse tout en espérant être à la frontière avant la fermeture.

A 17h, j’arrive à la frontière et j’y trouve une queue qui attendait pour traverser. J’en profite pour faire le plein de gazole car c’est moins cher au Maroc qu’en Mauritanie et au Sénégal. Je fis mes formalités policières sans encombre mais arrivé à la douane, ces derniers me réclament un cadeau pour me faire passer au plus vite, sinon ils allaient vérifier tous mes bagages et cela allait prendre beaucoup de temps et que je risquais de passer la nuit à la frontière. Je leur répondis que je n’avais pratiquement pas grand chose dans la voiture et que cela n’allait pas prendre 10 mn pour tout vérifier. Voyant que j’étais décidé à ne rien céder, ils daignèrent inspecter la voiture et en moins de 5 mn, tout était fait. Il ne me restait que les formalités avec la gendarmerie royale. Cette fois-ci ils ne m’ont rien demandé, ils ont juste enregistré mon nom dans leur fichier. Je sortis de la frontière marocaine à 18h et encore une fois, je me fais harceler par une horde de démarcheurs mauritaniens qui me promettent tous de me faciliter les démarches au niveau du poste frontière mauritanien situé à 3 km de celui du Maroc. Je réussis à m’en débarrasser non sans efforts et je fis le change des 500 dirhams qui me restaient en ouguiyas, la monnaie mauritanienne.

Je suis les camions marocains qui allaient au poste frontière mauritanien sur une piste infernale dans un no man’s land indescriptible jonché de carcasses de voitures à n’en plus finir.

A 18h30, j’arrive tant bien que mal au poste frontière. D’abord on se fait enregistrer au poste de gendarmerie moyennant 2000 ou 3000 ouguiyas (environ 3000 cfa), je ne sais plus. Ils viennent inspecter la voiture tout en vous disant qu’en leur filant 2000 ouguiyas, ils ne le feront pas. Je dis niet et ils envoient l’équipe canine pour fouiller la voiture. Après la gendarmerie, on va à la douane pour s’occuper du passavant et là encore il faut payer des sous. Ensuite on va à la police pour se faire viser le passeport et là encore, il faut payer des sous et enfin, on va au bureau d’assurance pour assurer la voiture. Sur les 500 dirhams (environ 50 euros) que j’avais changés, il ne me restait que 2000 ouguiyas. Je décide de changer 150 euros (100 mille francs cfa) en ouguiyas pour la traversée du pays. Je sors de la frontière vers 18h30 tout en ayant pris le soin de bien me restaurer car il n y avait aucune ville entre le poste frontière et la capitale Nouakchott qui se trouvait à environ 450 km un peu plus bas.

Je reprends la route avec des compatriotes et direction Nouakchott où l’on comptait passer la nuit. La route est bonne mais il faut faire attention aux bancs de sable qui envahissent l’asphalte mais surtout aux fameux agents de l’ordre qui ne cherchent que la petite bête pour vous réclamer des sous. Au premier contrôle, je tombe sur la douane qui vérifie tous les papiers, 100 m plus loin, c’est la police et 100 m encore plus loin c’est la gendarmerie. Après on traverse la voie ferrée et on se met sur la route de Nouakchott. La route est longue et la fatigue commence à peser sur nos nerfs. Au contrôle suivant, je tombe sur la gendarmerie qui me réclame tous mes papiers. Après l’agent me demande le gilet, le triangle de sécurité et en plus de ça, la boite «pharmacine», faut comprendre boite pharmacie que je n’avais pas et écoutez-bien, une bouteille de …….gaz !!! Alors là, je n’ai pas pu m’empêcher d’éclater de rire. Je lui ai demandé à quoi servait la bouteille de gaz, et calmement, il me répond qu’en Mauritanie, c’est comme ça et pas autrement. Je lui demande de me mener à son chef qui était lui à l’intérieur d’un pick-up garé le long de la voie. Je vais le voir et je lui parle de la bouteille de gaz et il me répond que son agent voulait dire par là extincteur. On se mit tous les 2 à rire comme deux vieux copains. Je lui dis que je n’ai pas de boite de pharmacie ni d’extincteur et qu’arrivée à Nouakchott, je vais les acheter. Il me laissa partir sans encombre.

On continua ainsi notre route et à 23h, on arriva à Nouakchott. Je décide d’appeler un très bon ami qui est à Nouakchott. Il m’invita chez lui avec les compatriotes que j’avais croisés à la frontière. On alla tous chez lui, sa femme nous accueillit avec la plus grande hospitalité, nous fit à manger comme si jamais on me l’a fait. Les autres voulaient continuer la route mais mon ami insista pour qu’on dorme tous dans sa maison. J’ai été vraiment touché par cette hospitalité mauritanienne. Je n’ai jamais connu un si bon accueil. Mon ami s’est privé pour moi, il s’est réveillé tôt le matin pour nous préparer le petit déjeuner et nous mettre sur la bonne route qui va à Rosso. Merci encore cher ami et à toute ta famille de nous avoir ouvert ta porte. Merci encore à ta femme pour toutes ces bonnes choses qu’elle a préparées pour nous. Après avoir bien dormi, on se leva à 06h du matin pour reprendre la route direction Rosso. Encore les mêmes contrôles qui cherchent tous à te prendre des sous. S’ils n’ont rien à nous reprocher, ils nous demandent le fameux cadeau de bienvenue. J’ai l’impression que les agents des forces de l’ordre se sont tous mis dans la tête que les automobilistes munis de plaques étrangères sont des poules aux œufs d’or et il faut en profiter avant qu’ils ne sortent du territoire.

Arrivés à Rosso Mauritanie, encore une horde de démarcheurs de toute sorte nous envahit. Fatigué et à bout de nerf, je décide d’en prendre un et de lui confier toutes mes démarches. Je voulais au plus vite sortir de cet enfer étouffant. J’ai du encore laisser quelques milliers de ouguiyas sur place avant d’entrer au Sénégal. Là encore, une horde de démarcheurs nous harcellent. Et pourtant je suis soulagé, je me suis dit que je suis dans mon pays et que les méchants sont de l’autre côté de la frontière. Il ne m’a fallu que quelques minutes pour déchanter. Rosso Sénégal est un vrai nid de racketteurs. La douane sénégalaise taxe tous les produits qui rentrent dans le pays, même les médicaments, même les effets personnels sont taxés. Qui l’aurait cru ? Je traverse toutes les misères du monde et je me fais racketter dans mon propre pays au vu et au su de tout le monde. Je viens de faire 5000 km en 5 jours, je suis fatigué, à bout de nerf et la douane sénégalaise me réclame 65 mille francs pour mes bagages, (100 euros) 10 mille francs ( 15 euros) pour un passavant de 5 jours, la police me réclame 1000 francs (1.50 euros) ou 2000 francs je ne sais plus pour viser mon passeport et la commune de Rosso me réclame 2000 francs pour y avoir mis les pieds. J’ai failli m’étrangler d’indignation mais rien n’y fait. Il fallait payer si on voulait rentrer chez soi. En sortant de la ville, j’ai encore laissé 2000 francs pour une autre taxe que je n’ai jamais comprise. Ils ont quand même pris la peine de me faire des reçus.

Je sors enfin de ce nid de parasites et direction St-Louis situé à 100 km de Rosso. A St Louis, je me repose un peu, je prends de quoi manger et je reprends la route direction Thiès situé à 200 km de St-Louis. La route est bonne et large mais attention aux dos d’âne à l’entrée et à la sortie des villes. Et jusqu’à Thiès je n’ai été arrêté ni par la police, ni par la douane ni par la gendarmerie. J’ai quitté Paris un dimanche et je suis arrivé chez moi à Thiès le jeudi suivant et je venais de parcourir 5200 km en 5 jours.

Ce périple routier a été très riche en enseignements sur la nature humaine. Les gens que j’ai croisés au Maroc et en Mauritanie ont été d’une extrême gentillesse et l’intégration africaine y gagnerait beaucoup si on supprimait tous ces parasites censés sécuriser la route.

 

Ardo Sow
ardojeeri@yahoo.fr

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