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« On n’est pas des sous-citoyens », disent les musulmans de Mantes

musulmans de Mantes

Dans la seule ville d’Ile-de-France administrée par le Front national, le conflit entre le maire, Cyril Nauth, et les fidèles de la mosquée dure depuis l’élection de l’édile frontiste en 2014.

Le pavillon de banlieue a disparu sous ses extensions successives, faites de parpaings, de bois et de tôle. Coincé entre la bretelle d’autoroute et le boulevard qui traverse la ville de part en part, voici la bâtisse qui fait office de mosquée à Mantes-la-Ville (Yvelines).

En pleine fête de l’Aïd el-Kébir, quelque 800 personnes s’y entassent pour la grande prière du vendredi. Dans cette ville de 20 000 habitants, à une cinquantaine de kilomètres de Paris, aux confins de l’Ile-de-France, la communauté musulmane représenterait 30% de la population. Et le quotidien des musulmans pratiquants est devenu plus compliqué depuis que la mairie est dirigée par le Front national.

Dans la mosquée, il n’y a pas une grande salle commune mais une demi-douzaine de pièces exiguës. Le prêche de l’imam est retransmis dans chacune de ces pièces, grâce à des enceintes et des écrans de télévision. Très vite, la mosquée affiche complet. Les dirigeants de l’association cultuelle n’ont pas le temps de prendre part à la célébration, trop occupés à indiquer aux derniers arrivés les rares espaces libres. Les retardataires doivent s’agenouiller dehors, sur les tapis posés à même le sol bétonné de la cour, alors que l’office touche à sa fin.

« Une solution provisoire » qui dure

Ce pavillon, loué à la ville depuis 2002, est glacial l’hiver mais surchauffé l’été. Il ne compte qu’un seul sanitaire. Et son portail donne directement sur la route très passante. « Ça devait être une solution provisoire », soupire Abdelaziz El Jaouhari, le président de l’AMMS, l’association des musulmans de Mantes-Sud, qui gère le lieu de culte depuis son minuscule bureau, encombré de documents, aménagé dans l’ancienne salle de bain de la maison, aux murs encore carrelés de bleu.

« Une solution pérenne » avait été trouvée en fin de mandat avec la précédente municipalité socialiste. La mairie allait racheter à la communauté d’agglomération le bâtiment qui abritait l’ancienne trésorerie pour le revendre à l’association cultuelle. La mosquée quitterait le pavillon pour la trésorerie. Une opération financière indolore pour la commune puisque l’argent allait être avancé par l’association. Celle-ci avait réussi à collecter les 650 000 euros nécessaires en quelques jours,« au sein de la communauté » et « sans financements étrangers », assure son président. L’opération devait être réalisée à la mi-mai 2014.

Déjà trois procédures judiciaires

Mais en mars 2014, les élections municipales ont changé la donne. Le nouveau maire FN, Cyril Nauth, « a fait toute sa campagne sur le refus du projet de la nouvelle mosquée », raconte Abdelaziz El Jaouhari. Depuis, l’édile trentenaire – élu avec à peine plus de 30% des voix dans une quadrangulaire où les deux anciennes maires socialistes s’affrontaient – ne dévie pas de sa ligne politique.

« La seule fois où on s’est vu, il nous a invité à aller prier chez nous. Est-ce que ça voulait dire à la maison ou de l’autre côté de la Méditerranée, il n’a pas été aussi clair », affirme le président de l’AMMS.

L’édile refuse d’abord de signer le compromis de vente. La communauté d’agglomération fini par contourner l’obstacle, votant la vente directe de l’ancienne trésorerie à l’association cultuelle. Las, le maire fait valoir son droit de préemption. Il veut faire du bâtiment désaffecté son nouveau poste de police municipale. Le tribunal administratif de Versailles suspend la préemption. Mais le maire fait appel. L’audience doit se tenir le 5 octobre. Si la vente ne se fait pas, l’indemnité que devra verser la municipalité à la mosquée a été chiffrée à 500 000 euros par l’ancienne municipalité.

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Le maire a aussi tenté d’expulser l’AMMS. Il l’a mise en demeure de quitter le pavillon. Car en prévision de son déménagement, la convention d’occupation n’a pas été renouvelée. Or celle-ci est arrivée à échéance au moment où la vente devait être effectuée. Là encore la justice a tranché en faveur de la mosquée.

Le dernier différend en date a porté sur la célébration de fête de l’Aïd. L’association a demandé à disposer d’un local municipal. Pas de réponse. L’AMMS a saisi la justice. D’abord déboutée en référé, elle a obtenu gain de cause en appel devant le Conseil d’Etat. La fête a pu se tenir jeudi matin.

« Nous avions un créneau de deux heures pour aménager la salle, installer les tapis de prière, la sono, prier, faire le prêche et tout ranger », regrette Abdelaziz El Jaouhari.

« Le terme ‘mosquée’, ça fait peur »

Belkacem, qui fait à l’occasion l’appel à la prière, a interpellé le maire une fois sur le marché.

« Je paie mes impôts ici depuis 42 ans. Est-ce que j’ai le droit d’avoir un lieu de culte ? », a-t-il lancé. « Il y a une liberté de conscience, il faut qu’elle s’exerce », insiste-t-il.

« Il est le maire. Il doit le respect à tous ses citoyens. Pas juste aux électeurs du Front national », renchérit Hamdech, lui aussi habitant de Mantes-la-Ville depuis quatre décennies.

« On a le droit d’avoir des locaux dignes. On n’est pas des sous-citoyens. On ne veut pas plu de prérogatives que les autres. On demande juste l’application de la loi », abonde Aziz Soni, trésorier de l’association cultuelle, qui guide les fidèles vers le grand barnum blanc installé au fond de la cour.

« Le terme ‘mosquée’, ça fait peur. On ne demande pas une mosquée. Juste une salle plus grande. Ce n’est pas la Lune », proteste Tahar, qui vient prier en voisin tous les jours depuis six ans.

Cette « peur », Belkacem aussi en parle : 

« L’islam, ça fait peur, alors certains responsables politiques s’en servent. » Le vieil homme incite les jeunes à voter. « Ils ne s’intéresent pas à la politique, vu tout ce qu’il se passe. Mais avec le Front national, le chômage… C’est dans leur intérêt », plaide-t-il.

Depuis le début, l’association cultuelle a porté le combat en justice se refusant à toute autre forme d’action.

« Le FN veut nous attirer sur le terrain de la tension sociale mais on ne veut pas rentrer dans une logique de confrontation », explique son président.

« Notre religion dit : ‘Pour casser c’est facile, pour réparer c’est dur. Dans le Coran, il n’y a pas d’esprit de vengeance », souligne Hamdech. « Réagir, c’est tendre le bâton pour se faire battre. Il ne faut pas céder à la provocation. Surout les jeunes qui partent au quart de tour », analyse Walid, l’ex-lutteur que tous surnomment « président » malgré son jeune âge.

Lettres anonymes et terrine de porc moisie

Car à Mantes-la-Ville, le climat a changé. Un mois à peine après les municipales, des lettres de menaces arrivent dans la boîte aux lettres de la mosquée. Les musulmans y sont comparés à des « cafards » et l’islam y est décrit comme « criminogène ». En plus de ces courriers, la mosquée reçoit des tranches de terrine de porc moisies. L’association cultuelle porte plainte. Abdelaziz El Jaouhari rapporte aussi des tentatives d’intrusion et des actes de vandalisme sur sa voiture. Désormais, des caméras et une équipe de gardiennage veillent sur la mosquée.

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Deux mois plus tard, un énigmatique collectif  baptisé « Agir pour Mantes » se met à distribuer des tracts contre la future mosquée. Un militant du Bloc identitaire figure parmi ses membres. Le groupuscule d’extrême-droite salue la démarche mais assure ne pas y prendre part. Quant au collectif, il se défend d’être téléguidé par le maire qui se réjouit toutefois de ce soutien spontané.

« Il y un fond de racisme », accuse Abdelaziz El Jaouhari qui évoque le cas du club de foot local.

« Les dirigeants du club pratiqueraient une forme particulière de discrimination positive, ils se servent de ce club pour mettre en valeur les jeunes issus de l’immigration », dénonce le maire sur France 3 Paris Ile-de-France.

Le maire « conteste toute motivation nauséabonde »

« Il serait faux de m’accuser de stigmatiser la communauté musulmane. Je conteste formellement toute motivation nauséabonde », se défend Cyril Nauth.

Et d’assurer qu’il n’agirait pas différemment à l’égard d’un autre groupe religieux. « Je n’ai jamais déclaré que je ne voulais pas d’un lieu de culte musulman à Mantes-la-Ville », clame l’élu frontiste, ajoutant néanmoins aussitôt : « Le Mantois n’est pas déficitaire en lieu de culte musulmans. Il y a des mosquées à Limay, à Mantes-la-Jolie, aux Mureaux. »

L’édile avance des arguments techniques :

« Le motif de mon opposition au projet de mosquée, c’est le lieu qui a été choisi. Je reconnais qu’aujourd’hui, des problèmes de sécurité et de stationnement se posent les vendredis et jours de fêtes. Mais cela ne ferait que déplacer le problème. » Puis il tranche : « Comme tout bon républicain, je considère qu’il est du devoir d’un élu de la République de servir l’intérêt public et pas celui particulier d’une communauté. L’Etat et la justice n’ont en ce moment pas la même lecture et considèrent que c’est là une priorité. Ce n’est pas la mienne. »

Une rivalité entre associations musulmanes

Et le maire contre-attaque. Il fait valoir qu’il entretient de très bon rapport avec une autre association musulmane, El Fethe, la rivale de l’AMMS. La seconde a succédé à la première en octobre 2013 à la tête de la mosquée. Aziz Sabri, le secrétaire d’El Fethe, en garde une certaine rancœur. Il avance une autre explication au conflit qui oppose le maire aux dirigeants de l’AMMS. Ces derniers paient, selon lui, le prix de leur proximité avec la précédente maire socialiste. Il en veut pour preuve que son projet de nouvelle mosquée avance. Il affirme qu’un dossier a été déposé en mairie pour un autre pavillon à agrandir. Le maire, dit-il, l’a assuré qu’il ne s’y opposera pas. « Le maire a créé un problème entre les musulmans pour nous diviser », accuse, de son côté, Hamdech. « La preuve, un jour il m’a dit : ‘Il faut que je travaille maintenant pour 2017’. »

 

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