Alors que le pays est en proie à des difficultés économiques, un personnage non moins important se meurt sans que les Sénégalais n’y prennent garde… Le mérou, ou « Thiof »en Wolof.
Fin d’après-midi au port de débarquement de Hann à Dakar. Mame Astou Diagne se faufile entre les étals de poisson posés à même le sable mêlé d’écailles de poisson et de sardinelles immatures rejetés par les pêcheurs lors des tris. La ménagère est venue acheter du poisson pour son Thieboudiene du lendemain. C’est, pourtant, devant un étal de maquereaux qu’elle finit par s’arrêter, avant de marchander, puis emporter un lot de poisson.
Un Thieboudiene sans Thiof ? Mame Astou Diagne se justifie :
« Il y a longtemps que je n’utilise plus le Thiof dans mes recettes de Thieboudiene. On ne peut même plus en acheter, c’est trop cher ! ».
Comme chez cette maîtresse de maison, de nombreux foyers sénégalais ont presqu’oublié le goût du Thiof. C’est que le poisson national est tellement rare, qu’il est difficile de s’en procurer. Et même quand on y arrive, le prix proposé en décourage plus d’un.
« Lorsque la pêche est vraiment très bonne, ce qui n’est plus du tout courant, vous pouvez avoir le kilogramme de Thiof à 3000 francs CFA. Mais il arrive que le kilogramme atteigne 6000 francs CFA comme en ce moment », explique Fatou Ndiaye, jeune dakaroise.
Espèce noble
Cette pénurie s’explique par le fait que « l’on assiste à une surexploitation du mérou dans la mer sénégalaise », révèle le Dr. Hamet Diaw Diadhiou, chef du Centre de recherches océanographique de Dakar-Thiaroye (CRODT).
Et pourtant, les chercheurs du CRODT s’emploient chaque année à déterminer le stock disponible pour la pêche, fait remarquer le colonel Fall, chef de projet audit centre.
« La façade maritime du Sénégal est subdivisée en plusieurs parties à l’intérieur desquelles les agents prélèvent, chaque jour, des échantillons de de pêche, tout au long de la campagne. Dès la fin de la campagne, la cellule de calcul du centre effectue la synthèse des chiffres prélevés, et donnent des estimations de la ressource disponible pour la prochaine campagne de pêche », explique-t-il.
Avant d’indiquer que les résultats des données scientifiques collectées devraient servir à la bonne gestion et à l’aménagement durable des pêches.
« Les premiers utilisateurs de nos résultats doivent être normalement l’administration des pêches », déclare le colonel Fall.
Mais de nombreuses recommandations émises par le CRODT ne sont pas toujours appliquées sur le terrain. En effet, considéré comme une espèce noble, le mérou est un poisson très rentable. Le prix moyen au kilogramme tourne autour de 4000 Francs CFA. A l’exportation, ce tarif est pratiquement triplé. D’où cette exploitation abusive. Or, fait savoir le colonel Fall
« il s’agit d’une espèce à reproduction tardive, c’est-à-dire qu’elle doit attendre deux à trois ans avant d’avoir une maturité sexuelle et donc, de se reproduire »…
Au bord de l’extinction
C’est ce qui a amené le CRODT à plaider auprès du gouvernement sénégalais l’arrêt immédiat de la pêche de mérou, dont les chercheurs affirment sans aucun doute qu’il est au bord de l’extinction.
En effet, les statistiques relevées par les scientifiques, révèlent une baisse inquiétante du niveau des captures de Thiof. Ils constatent que des années 1960 à nos jours, la taille moyenne du poisson a décliné au fil des ans. Cela est dû au fait qu’au fil des ans, que de plus en plus de poissons capturés n’ont pas atteint la maturité sexuelle, et donc n’ont jamais eu l’occasion de se reproduire. D’où le danger d’extinction imminente.
Il existe six espèces en voie de disparition au Sénégal, pour lesquelles les océanologues ont proposé de réguler les tailles des mailles de filet, en accord avec les pêcheurs. Les scientifiques recommandent de ne prendre que les poissons parvenus au stade de maturité sexuelle.Car, ils auront eu, au moins une fois la possibilité de se reproduire (donc de perpétuer leurs espèces) avant d’être capturés. Cette maturité se mesure entre autres, par la taille du poisson.
Pour le mérou par exemple, les pêcheurs sont invités à ne garder que les spécimens mesurant 46 centimètres au minimum. En deçà, ils doivent remettre à la mer ceux qui sont encore en vie.
Tradition vs survie
Mais, selon le Dr. Hamet Diaw Diadhiou, une situation existe, qui pourrait expliquer le fait que le gouvernement sénégalais continue de laisser s’effectuer la pêche au Thiof, malgré les avertissements des scientifiques.
Il y a, en effet, que le Sénégal est un pays de pêche par tradition. Les moyens de subsistance de peuples entiers viennent de la seule activité de pêche. Une anecdote dit,d’ailleurs, que le nom même du pays évoque la pirogue utilisée pour aller à la recherche au poisson : « sunu gaal » qui signifie «notre pirogue ».
Avec l’extinction imminente du Thiof, c’est un pan de l’identité sénégalaise qui risque de disparaître. Car, « sans Thiof, un Thieboudiene n’en est plus vraiment un ! » s’affole Fatou Ndiaye.
Source: slate Afrique Ghislaine ATTA
La pêche sénégalaise en chiffres:
9000 pirogues arrivent sur les ports de débarquement chaque année.
600 000 acteurs interviennent directement ou indirectement dans l’activité de pêche.
400 000 tonnes. C’est la quantité de poisson pêchée par an. Les trois quarts proviennent de la pêche artisanale.