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Les côtes sénégalaises, nouveau paradis des centrales à charbon sale

Les côtes sénégalaises, nouveau paradis des centrales à charbon sale

Réfugiée dans une petite chambre qui tient désormais lieu de pièce commune à la famille, Seynabou compte sur les doigts de ses mains le nombre de pièces volées par l’océan : « sept en quelques années », énumère-t-elle en montrant un amas de gravats prêt à faire barrage au prochain assaut. Des maisons qui tombent les unes après les autres dans la mer comme des châteaux de sable, un cimetière où dormaient les ancêtres avalé par les flots… Les habitants de Bargny, ville de la Petite côte, à trente kilomètres au sud de Dakar, n’ont depuis longtemps plus de leçons à recevoir sur les effets du dérèglement climatique.

L’océan gagne chaque année près de deux mètres sur les terres. Alors quand le gouvernement veut y installer la première centrale à charbon du pays, l’amertume se double de colère.

« Bargny est déjà victime du changement climatique, nous ne voulons pas du charbon. C’est l’énergie la plus polluante et la plus dangereuse pour le climat », explique Fadel Wade, le coordinateur du collectif des communautés affectées par les centrales à charbon de Bargny.

Le projet Sendou d’une capacité de 125 mégawatts – soit l’équivalent d’un quart de l’électricité produite aujourd’hui par le Sénégal – est né en 2009 sous la présidence d’Abdoulaye Wade, avant d’être repris dans le Plan Sénégal Emergent de Macky Sall. Depuis six ans, la population de Bargny ferraille sans relâche pour obtenir son abandon. Jusqu’à présent sans succès. Plus que l’hostilité de la population, la mésentente entre certains actionnaires, le Suédois Nykomb et le Marocain AFG, explique la suspension des travaux quelques mois seulement après leur démarrage en 2013.

Les chaises en plastique ont été sorties devant les maisons efflanquées aux murs délavés par les embruns. Installé face à l’océan, chacun y va de son plaidoyer. Eleveurs, pêcheurs, femmes employées dans la transformation du poisson… Bargny abrite une des plus importantes communautés de pêcheurs de la côte.

« Aujourd’hui, il y a assez de travail pour tout le monde. On ne prend pas les pirogues pour partir en Espagne. Le poisson séché est exporté dans toute l’Afrique de l’Ouest et nous rapporte 2 milliards de francs CFA [3 millions d’euros] par an. Construire cette centrale, c’est nous condamner à la pauvreté car les eaux et l’air seront pollués », prédit Fatou Samba, présidente de l’association des transformatrices et conseillère municipale.

En retrait de la plage où de grandes pirogues débarquent les casiers de poissons, des femmes courbées vers le sol préparent des tas de coques d’arachide destinées au fumage des sardinelles.

Normes environnementales non respectées

Dans son boubou blanc, la tête coiffée d’une chéchia, l’ingénieur Daouda Gueye, responsable technique de la ville, a épluché toutes les données du projet et égrène sans faillir la liste des dangers :

« cinq pompes vont aspirer 15 000 mètres cubes d’eau de mer par heure et rejeter une eau dont la température aura été réchauffée de plus de 10 °C. Rien n’a été prévu pour stocker les résidus des 400 000 tonnes de charbon qui seront brûlées chaque année. Qui peut prétendre que la préparation des poissons pratiquée à l’air libre sera encore possible à proximité d’une centrale dont les fumées seront chargées de particules polluantes de plomb, de sélénium, d’arsenic… »

La petite compagnie sous l’autorité du doyen, qui jure que tant qu’il sera vivant, « Bargny ne produira pas d’électricité au charbon », envisage de porter plainte contre le gouvernement et la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) devant la Cour suprême. « Les normes environnementales de la Banque mondiale ne sont pas respectées », assure l’écologiste Mbacké Seck, qui prête main-forte aux communautés de Bargny dans leur combat contre ce « projet sale ». « Le Sénégal doit faire un saut technologique vers les énergies renouvelables. Pas choisir la pire des solutions pour le climat et les populations », plaide ce représentant de la branche sénégalaise de l’ONG internationale Waterkeepers.

Le président Macky Sall a choisi le chemin inverse pour assurer les besoins en énergie des 14 millions de Sénégalais aujourd’hui très mal desservis et à des tarifs parmi les plus élevés d’Afrique de l’Ouest. Une deuxième usine à charbon, deux fois plus puissante, et confiée au Coréen Kepco est programmée à Bargny. Au nord de Dakar, à Kayar, l’indien Jindal Stell a été retenu pour livrer une unité de 350 mégawatts et le canadien Africa Energy a signé pour 250 mégawatts à Mboro. Le charbon sera importé d’Afrique du Sud.

« Solution du passé »

Si tous ces projets voient le jour, les capacités de production du Sénégal seront multipliées par deux. Face à ses grands chantiers, les renouvelables occupent un strapontin. Les dix programmes confiés à des opérateurs privés pour une capacité totale de 300 mégawatts n’ont pas commencé. L’accès à l’énergie est une des promesses de campagne du chef de l’Etat. Jusqu’à présent la situation s’est très peu améliorée et les coupures de courant récurrentes attisent la grogne sociale.

La Banque africaine de développement (BAD), qui est un des principaux bailleurs de Sendou, soutient ce choix.

« Le charbon est deux fois moins cher que le fioul qui fournit 90 % de l’électricité du pays. Le Sénégal n’a pas le choix. La demande d’électricité augmente au rythme de 8 % l’an. Le secteur industriel est sous-équipé et les artisans restent des journées sans travail faute de courant. Le niveau des subventions est insoutenable pour le budget de l’Etat », défend Rokhaya Diallo, chargée du secteur privé au bureau de Dakar.

Le ministère de l’environnement se range aussi à l’argument.

« Pour résoudre le problème du climat, il faut que les technologies vertes soient accessibles aux pays pauvres. Le niveau d’émissions de gaz à effet de serre du Sénégal est très faible. Le charbon ne sera qu’une étape transitoire pour ne pas rester dans le noir », espère la directrice du département changement climatique, Madeleine Diouf Sarr.

A moins de cent jours de la conférence de Paris où le premier accord universel de lutte contre le changement climatique pourrait être signé, les habitants de Bargny refusent de se résigner à « cette solution du passé ». Répondant à l’appel mondial pour le désinvestissement des énergies fossiles, le fonds souverain norvégien s’est retiré au printemps dernier du projet de Kayar. La coopération néerlandaise a pris ses distances avec Sendou. Le boycott du charbon se répand dans le monde entier. Le Sénégal peut-il totalement l’ignorer ?

 

Le Monde Afrique

 

 

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