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Le retour des cerveaux en Afrique

L’Afrique connaîtrait-elle un «retour des cerveaux» ? Avec une croissance qui repart à la hausse (chiffre Banque Mondiale, août 2017), le continent semble de plus en plus attractif pour ses propres ressortissants! On appelle ainsi «repats» ceux qui y reviennent travailler. Enquête sur ce phénomène d’un nouveau genre.

«J’avais atteint le plafond de verre», se souvient Jean-Yves. Après avoir réalisé toute sa scolarité et ses études en France, Jean-Yves, un Camerounais de 39 ans, se sentait «frustré» par son début de carrière dans l’Hexagone en tant qu’analyste comptable pour un grand groupe bancaire français.

Et puis, il y a eu un voyage en Afrique en 2009. «J’avais envie de découvrir mon pays», raconte le jeune homme. A son retour, sa décision est prise, il prend un congé pour création d’entreprise et enchaîne les allers-retours entre Paris et Yaoundé pour préparer le terrain. Il se «réinstalle» définitivement en 2010. Et malgré sa préparation, ce fut le choc. «Les mentalités sont tellement différentes ici», explique Jean-Yves, «c’était assez violent, cela m’a pris au moins six mois pour m’adapter».

Comme il le raconte sur son blog, les premiers temps sont difficiles, surtout pour un jeune chef d’entreprise obligé de s’habituer à un mode de vie différent, et des habitudes locales parfois étranges pour quelqu’un ayant grandi en France. «J’ai découvert en arrivant que les jours de pluie, personne ne vient travailler !», s’amuse aujourd’hui Jean-Yves, à la tête d’un cabinet de conseil en recrutement, sept ans après sa «répatriation» au Cameroun.

 Prendre part au développement de l’Afrique 

L’Afrique connaitrait-elle un «retour des cerveaux» ? Comme Jean-Yves, une nouvelle génération, issue de la diaspora africaine en Europe et en Amérique du Nord, envisage de revenir sur le continent et d’y faire carrière. On les appelle les «repats», comme «repatriés» par opposition aux «expats». Malgré le ralentissement global de la croissance dans la région en 2016 (mais qui est repartie en 2017), ces «repats» (on emploie aussi parfois le terme anglophone de «returnees», «ceux qui reviennent») se disent attirés par le dynamisme des économies de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Nord principalement, terres d’opportunités et politiquement stables pour jeunes cadres dynamiques.

Sur Internet et dans les média, déjà, les portraits et «histoires de repats» se multiplient, donnant plus de visibilité à ce mouvement du Nord vers le Sud entamé au début des années 2000. Pour Chams Diagne, président de Talent2Africa, plateforme de recrutement en ligne dédiée à la diaspora africaine, et lui-même «repat», ce que cherchent en majorité ces expatriés d’un nouveau genre, c’est de «rendre à l’Afrique ce que l’Afrique nous a donné». Et de participer ainsi à son développement.

 «Le manque de profils qualifiés est une véritable problématique pour les entreprises en Afrique», poursuit Chams Diagne. «Il y a d’un côté un réel besoin des recruteurs, et un fort désir de retour de l’autre», résume-t-il. En effet, cette «migration à l’envers» concerne essentiellement une élite de la diaspora africaine. Ceux ayant grandi entre Paris, Londres et New York, et qui ont souvent fréquenté les universités les plus prestigieuses. Du côté des recruteurs locaux, on vise les managers, les ingénieurs, les diplômés dans la finance, dans des secteurs comme les télécoms, l’industrie pharmaceutique ou encore le BTP.

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C’est le cas de Khadidiatou, employée dans une entreprise pharmaceutique à Dakar, au Sénégal. «J’ai été contactée par un chasseur de tête, et j’ai tout de suite saisi l’opportunité !», se souvient-elle «En deux-trois mois, j’étais installée». Née à Paris, originaire de Guinée, elle avait déjà, depuis quelques années, fait le choix de l’expatriation : France et Allemagne pour les études, puis des stages en Angleterre, Irlande et Belgique. «Cette fois, c’est différent», commente la jeune diplômée d’ESSEC, «ici tout le monde te ressemble, c’est un peu comme si je revenais».

Revenir. Pourtant, comme Khadidiatou, la plupart ne choisissent pas forcément de revenir dans leur pays d’origine. «Ils (les «repats», ndlr) ont développé une vision panafricaine et s’établissent là où il y a des opportunités, une économie dynamique, l’émergence d’une classe moyenne», précise Chams Diagne.

Au niveau de Talent2Africa, les destinations préférées des futurs «repats» sont l’Afrique subsaharienne (notamment, à l’ouest, des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire) ainsi que le Maghreb. Chez les anglophones, le Niger et l’Afrique du Sud sont très demandés.

Une tendance prise au sérieux
Difficile pourtant de mesurer l’ampleur de ces retours. La plateforme numérique de M. Diagne, créée en mai 2016, compte un peu moins de 10.000 usagers, et ambitionne d’atteindre les 200 000 d’ici 2021. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), si elle n’est pas en mesure de chiffrer ces mouvements de la diaspora, reconnaît non seulement un réel engouement, mais encourage également le phénomène à travers ses programmes MIDA (migrations pour le développement en Afrique).

Lancés à la fin des années 1990 dans plusieurs pays comme l’Ethiopie, la Somalie ou le Gabon, ces programmes MIDA ont pour objectif d’aider «les pays africains à répondre aux carences en ressources humaines dont ils sont victimes, en faisant appel aux Africains de la diaspora», explique dans un entretien à Médiapart Tauhid Pasha, de l’OIM. Ils mobilisent à la fois les gouvernements des pays africains et des pays hôtes; ainsi que des membres de la diaspora du continent incités à des retours «temporaires, de longue durée ou virtuels» à l’occasion de projets nationaux ou régionaux.

Si ces programmes restent encore modestes par le nombre d’individus impliqués, ils répondent à des besoins spécifiques et ciblés. Dans le domaine de la santé, par exemple. En Somalie, «plus d’un tiers du gouvernement est composé de membres de la diaspora, approchés par MIDA», rapporte Florence Kim, porte-parole de l’OIM.

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De «l’African dream» à la réalité
«Parmi les membres de ma famille, chez mes amis, il y a plusieurs personnes qui aimeraient rentrer mais ils se disent:  »C’est compliqué, on verra après »», confie Khadidiatou. En effet, comme le soulignait le titre de l’émission 7 millions de voisins sur RFI, Les «repats» sont-ils tous faits pour retourner sur leur terre d’origine ? Le choc culturel, les difficultés d’ordre administratif, économique ou relationnel peuvent refroidir l’enthousiasme du «repat» une fois sur place.

D’autant qu’ils ne sont pas si attendus que cela. En 2014, selon un rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD), les Africains ont transféré vers leur pays d’origine plus de 62 milliards d’euros. Soit bien plus que l’aide publique au développement, estimée à 56 milliards, et que les investissements étrangers, estimés eux à 50 milliards de dollars. Ce transfert des expatriés est donc une ressource essentielle au développement du continent. Ainsi, mis à part le programme du MRE d’aide au retour marocain, peu de pays ont développé une véritable politique d’accompagnement pour la «réinstallation» de leurs diasporas.

Jean-Yves, lui, se souvient de la méfiance de certains de ses compatriotes à son arrivée. «Les locaux vous escroquent, vous mettent des bâtons dans les roues, car ils vous voient comme une machine à cash». Avec d’autres «repats», il a créé l’Association des entrepreneurs du Cameroun, pour -entre autre- aider les nouveaux arrivants dans leurs projets et, surtout, «leur faire gagner du temps, et éviter les mauvais conseils». Khadidiatou, salariée, n’a pas rencontré ces difficultés, et son entreprise a même pris en charge son installation. Il n’empêche, «mes collègues me voient encore comme une Française, presque une Blanche !», ose la jeune femme née dans la région parisienne.

Ni tout à fait étrangers, ni tout à fait intégrés, les «repats» doivent nécessairement passer par une phase d’adaptation plus ou moins longue. «Si mes parents étaient fiers, ma mère avait un peu peur et me disait que je connaissais rien à l’Afrique», se souvient Khadidiatou. Pas facile non plus d’abandonner un mode vie à l’Occidental. Quand Jean-Yves évoque les prix des produits importés, Khadidiatou se plaint, elle, de ne pas trouver suffisamment… de pots de fromage blanc.

Tous les deux s’accordent en revanche sur la qualité de vie qu’ils y ont gagnée. «C’est fini, les bottes et les manteaux!» se réjouit la jeune «returnee». Des logements plus abordables, un rythme de vie moins stressant, et l’été permanent pourraient bien les convaincre de rester un bon moment. «Et puis les enseignes européennes sont très nombreuses à Dakar», ajoute Khadidiatou. On trouve ainsi «Auchan, Mango, Jenyfer, Zara… Non, là, j’avoue, j’exagère peut-être!», conclut-elle en riant.

Par Chloe Berthod

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