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Le Nouveau Brunswick (Canada) recrute dans le secteur de la santé, l’Afrique craint une « saignée » de ses travailleurs de la santé

Le Nouveau Brunswick (Canada) recrute dans le secteur de la santé, l’Afrique craint une « saignée » de ses travailleurs de la santé

Le Réseau de santé Vitalité va envoyer des recruteurs au Sénégal et en Côte d’Ivoire.

Au Nouveau-Brunswick, le Réseau de santé Vitalité parle de recruter des travailleurs en Afrique de l’Ouest dans les prochaines semaines.

Dans les deux pays — la Côte d’Ivoire et le Sénégal — vers lesquels se tourne l’administrateur des hôpitaux francophones de la province, on redoute l’appauvrissement des soins et on évoque des risques liés à ce recrutement.

Un manque de travailleurs en santé
Ismaila Mbaye, le président de l’Association nationale des infirmiers et infirmières diplômés d’État du Sénégal (ANIIDES), est convaincu qu’il y a danger d’aggraver la pénurie de personnel en santé dans son pays.

Nous avons peu d’infirmiers, on reconnaît qu’il y a un déficit. Et en même temps, il y a saignée, les gens commencent à partir. C’est sûr et certain que ce ratio va diminuer ultérieurement si on n’arrive pas à produire assez d’infirmiers au niveau de nos écoles de formation, a dit M. Mbaye dans un entretien à Radio-Canada à partir du Sénégal, samedi.

Ça risquerait de créer pas mal de soucis aussi dans notre pays — dans nos pays dits en voie de développement, a-t-il déclaré.

Les Sénégalais, fatalement, en paieront le prix, selon Ismaila Mbaye. Si nous savons bien qu’il y a déficit de ressources humaines et que les établissements ne [peuvent] pas former des infirmières en quantité suffisante, voyez-vous, ça a une répercussion, véritablement, sur le système de santé […] donc à la prise en charge de la population.

« C’est sûr que ça va porter un coup dur dans notre système. Et de ce fait, il va falloir qu’on essaie de voir comment faire pour qu’il n’y ait pas trop de saignées tendant à amoindrir le système de santé. » — Une citation de Ismaila Mbaye, Association nationale des infirmiers et infirmières diplômés d’État, Sénégal

Il craint aussi que cet exode ait un effet d’entraînement au Sénégal. L’autre problème, aussi, ça pourrait être source de démotivation. Parce que les infirmiers seront tentés de vouloir faire la même chose pour aller à l’immigration.

En Côte d’Ivoire, Josiane Koudou, présidente de l’Association des infirmières et infirmiers en santé du travail de Côte d’Ivoire, redoute une fuite des cerveaux.

Au jour d’aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la Côte d’Ivoire n’est pas encore autosuffisante en matière d’agents de santé, ce qui explique la multiplication des écoles de formation, a déclaré Josiane Koudou dans un entretien à Radio-Canada à partir de la Côte d’Ivoire, samedi.

« Que la Côte d’Ivoire ne soit pas simplement vue comme une entité qui ne fait que produire des infirmiers pour l’étranger. » — Une citation de Josiane Koudou, Association des infirmières et infirmiers en santé du travail de Côte d’Ivoire

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il y a moins d’une infirmière et sage-femme pour 1000 habitants dans les deux pays d’Afrique où le réseau de santé du Nouveau-Brunswick veut recruter.

Au Sénégal, il n’y a que 0,5 infirmière et sage-femme par tranche de 1000 habitants. En Côte d’Ivoire, c’est 0,7 par 1000 habitants. Le Canada en a 11,8 par 1000 habitants. Ces données sont de 2019(Nouvelle fenêtre).

Josiane Koudou ajoute par ailleurs que, tout comme au Canada, la répartition du personnel en santé est très inégale et il est difficile d’attirer les travailleurs hors des grands centres. On a plus d’infirmiers dans les grandes villes comme Abdidjan, par rapport aux villes de l’intérieur.

Que peuvent en retirer les pays africains?
Les deux intervenants rencontrés séparément samedi maintiennent que toute tentative par le Canada de recrutement dans leur pays doit se faire en partenariat.

Plutôt que de voir leurs systèmes de santé déjà fragiles être vampirisés par les pays occidentaux, les intervenants des milieux infirmiers ivoiriens et sénégalais préconisent le partage de connaissances et soutiennent que la formation des travailleurs doit être un aspect primordial des efforts de recrutement.

Ne nous limitons pas seulement au recrutement, nous demandons au Nouveau-Brunswick de pouvoir intervenir dans la formation des infirmiers. Parce que la formation des infirmières a un coût, dit Josiane Koudou.

L’État de Côte d’Ivoire investit dans la formation de ses agents de santé, il serait important que le Canada aussi accompagne l’État de Côte d’Ivoire dans cette formation d’élite, dit-elle. Mme Koudou souhaite donc un partenariat gagnant-gagnant.

S’ils veulent en tout cas venir recruter, il faudrait en retour venir renforcer le système, déclare Ismaila Mbaye, au Sénégal.

Je donne un exemple : ils peuvent venir en collaboration avec des écoles de formation, suggère-t-il. Certains resteront au Sénégal, et les autres pourront être recrutés […] en appuyant la formation de ces infirmiers-là, ce serait gagnant-gagnant.

Ismaila Mbaye sait que le Canada et d’autres pays tentent de séduire les travailleurs de la santé sénégalais. Il dit avoir lui-même participé à des séances de partage avec d’autres nations. Il mentionne ne pas avoir d’informations au sujet de provinces canadiennes faisant leurs propres démarches.

M. Mbaye dit connaître personnellement au moins une dizaine de personnes qui sont venues le voir pour s’informer sur la possibilité d’émigrer, mais il déplore le manque de suivi. On nous invite, on nous intègre dans des échanges pour recruter. Mais ensuite, on n’a plus d’informations.

Raison de plus de vouloir plus de transparence, l’attrait pour l’émigration au Sénégal donne des idées à certains malfaiteurs.

Il y a eu pas mal, entre guillemets, des « fossoyeurs », qui sont venus en parallèle demander à des tiers de leur donner de l’argent […] pour les amener au Canada, relate Ismaila Mbaye.

En Côte d’Ivoire, selon un rapport du ministère de la Santé en 2022, près de 70 % des personnels soignants qui prodiguent des soins infirmiers dans les cabinets médicaux, cliniques et polycliniques à travers tout le pays n’ont pas la qualité d’infirmier.

Le pays déploie beaucoup d’efforts pour réglementer la profession, dit Josiane Koudou. Il y a un an, un projet de loi créant un Ordre national des infirmiers et infirmières a été adopté. Comme son nom l’indique, vous mettez de l’ordre. En mettant de l’ordre, vous garantissez la sécurité des clients et des malades, dit Mme Koudou.

C’est donc une mise en garde supplémentaire pour le Nouveau-Brunswick. Il faut que ça se fasse, ce recrutement, sur le plan réglementaire et à travers des accords entre les différents ministères. Ça vous permet de savoir que l’individu qui est en face de vous […] est effectivement un infirmier, parce qu’il va produire un dossier complet.

Babatundé Lawani

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