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Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, critique l’interpellation fatale au Sénégalais Amadou Koumé à Paris

Selon Jacques Toubon, l’arrestation de cet homme de 33 ans, en 2015 à Paris par les services de police, a été « entachée de manquements à tous les niveaux ». Dans le volet judiciaire, une reconstitution des faits a lieu ce mercredi.

C’est une reconstitution un peu particulière qui se déroulera ce mercredi après-midi dans un bar du quartier de la Gare-du-Nord à Paris (Xe). Une dizaine de policiers sont convoqués pour rejouer les scènes qui se sont déroulées lors de l’interpellation d’Amadou Koumé, dans la nuit du 5 au 6 mars 2015. Une intervention difficile – qui a mobilisé en tout cinq équipages et 13 fonctionnaires — et qui s’est soldée par la mort de ce père de famille de 33 ans alors en détresse psychologique.

Pour l’heure, seul un gardien de la paix a été mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » en mars 2017 dans ce dossier. Ce policier de la brigade anticriminalité (BAC) avait effectué une manœuvre d’étranglement pour le maîtriser.

La reconstitution, qui fait suite à la demande formulée par Me Eddy Arneton, l’avocat de la famille Koumé, intervient alors que le Défenseur des droits vient de rendre un rapport très critique sur l’intervention des forces de l’ordre. Jacques Toubon « constate avec regret que l’interpellation […] par les services de police a été entachée de manquements à tous les niveaux de la chaîne d’intervention », écrit-il dans son avis rendu le 29 mai dernier.

« Le recours à la force n’était pas nécessaire »
Le soir des faits, Amadou Koumé ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. « J’ai vu qu’il n’allait pas bien parce qu’il n’arrêtait pas de dire Ils veulent me tuer », a expliqué le videur du bar où cet homme originaire de Saint-Quentin (Aisne) s’est rendu vers 23h30. La police est alertée. Le premier équipage arrive à 0h06.

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Les trois policiers constatent que ce client récalcitrant relève de l’infirmerie psychiatrique. Mais devant sa résistance et sa force physique, ils décident de procéder à son interpellation. Or, le Défenseur des droits « considère que le recours à la force par l’équipage primo-intervenant n’était pas nécessaire ». Jacques Toubon « recommande de privilégier systématiquement le dialogue en présence d’une personne en état d’agitation ».

Un premier équipage de la BAC arrive en renfort. C’est à ce moment-là que le policier qui sera mis en examen deux ans plus tard pratique « un étranglement arrière » pour faire venir Amadou au sol puis une seconde manœuvre identique pour l’allonger sur le ventre. « Lors de la deuxième prise d’étranglement […] à aucun moment je n’ai exercé de pression sur sa gorge », s’est défendu le gardien de la paix devant la juge d’instruction. « Tous les témoignages attestent qu’il n’y a aucune violence policière et que l’action était légitime », nous indiquait l’an dernier son avocate Me Vannina Versini.

Pas de défibrillateur au commissariat
Pendant quatre minutes, dans l’attente du fourgon, Amadou Koumé demeure allongé sur le ventre, menottes dans le dos. « Or, le positionnement ventral […] prolongé est susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite posturale ou positionnelle, selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme », indique le Défenseur des droits qui indique qu’une note de l’IGPN de 2008 « est venue rappeler aux fonctionnaires de police que l’immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible, surtout si elle est accompagnée du menottage dans le dos de la personne allongée ». Malheureusement, déplore Jacques Toubon, cette fameuse note « n’a pas été diffusée au sein de chacune des directions dépendant de la préfecture de police ».

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Amadou Koumé est finalement porté vers le fourgon et, lorsque le véhicule arrive devant la grille du commissariat à 0h22, les policiers constatent « que celui-ci fait un malaise et est inconscient ». Le commissariat n’est équipé d’aucun défibrillateur, raille là encore le Défenseur des droits. Les pompiers sont finalement prévenus – une sollicitation « peu étayée », tacle Jacques Toubon — mais il est trop tard. Le décès est prononcé à 2h10.

Sans se prononcer sur d’éventuelles poursuites pénales, le Défenseur des droits recommande des poursuites disciplinaires contre trois policiers, estimant qu’ils ont fait un usage « non nécessaire » de la force ou bien qu’ils ont manqué « aux obligations de discernement et de protection ». L’enquête administrative diligentée après la mort d’Amadou Koumé avait pourtant donné lieu à un classement en 2016, « aucun manquement déontologique ou faute professionnelle » n’ayant été constaté.

Une nouvelle expertise médicale demandée
Sur le plan judiciaire, l’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris s’était également conclue par un classement sans suite en novembre 2015. C’est grâce à la plainte avec constitution de partie civile déposée par Me Arneton que les investigations ont repris et prospéré.

Selon l’expertise médicale, Amadou Koumé « est décédé d’un oedème pulmonaire majeur résultant de l’association d’une asphyxie mécanique par traumatismes cervical et laryngé et d’une intoxication à la cocaïne ». La juge d’instruction a néanmoins chargé un collège de six spécialistes de procéder à une nouvelle expertise, accédant ainsi à la demande formulée par la famille du défunt. Parmi les nombreuses questions auxquelles ils doivent répondre figure celle-ci : « La technique d’étranglement utilisée contre Amadou Koumé et le maintien prolongé en position ventrale pouvaient-ils à eux seuls conduire au décès d’Amadou Koumé ? »

Timothée Boutry

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