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Laurent Jimaja, un pionnier à la mairie du Grand-Saconnex

Un des seuls élus noirs de Suisse et originaire du Bénin, il refuse le rôle de modèle. Il veut être jugé sur ses actes. Les Saconnésiens viennent de réélire ce père de deux enfants

La mairie du Grand-Saconnex, à Genève, domine la piste délaissée de l’aéroport, au grand soulagement des riverains. Dans son fauteuil, le maire, Laurent Jimaja, est un pionnier, qu’il le veuille ou non. Un des rares élus noirs en Suisse et le seul à notre connaissance d’origine africaine.

Mais l’édile, qui a grandi au Bénin, écarte avec bonhomie le rôle de modèle. «Etre différent n’est pas un mérite, minimise-t-il. Je suis né dans ce corps, je n’y peux rien. Mais cela vous rend plus sensible aux regards des autres. Personnellement, je préfère me battre pour des projets plutôt que pour la couleur de ma peau.»

Le maire n’a donc pas défilé contre le racisme à Genève au milieu de la foule indignée par la mort de George Floyd sous le genou d’un policier américain. «J’y serais allé si je n’avais pas eu une séance de commission. Cela n’aurait pas été sérieux de la manquer.» Le moule helvétique a fait son œuvre.

Question aussi de génération, l’immigré concède avoir souvent choisi le profil bas, contrairement aux jeunes battant le pavé. «Cette colère ne m’a pas surpris. Il faut l’entendre», prévient-il, tout en regrettant le manque de relève politique ou associative.

Aujourd’hui retraité de l’Institution genevoise de maintien à domicile, le maire est aussi président de la section genevoise de l’ONG Swissaid.

Ne comptez pas sur Laurent Jimaja pour s’épancher sur les fois où on lui a renvoyé à la figure sa différence. «J’essaie d’être exemplaire et je réagis quand c’est nécessaire. Il faut défendre l’humanité tout entière, les brimades peuvent viser tout le monde», généralise-t-il.

S’il ne la revendique pas, il ne renie pas pour autant son africanité, «une grande part» de lui. Chrétien pratiquant, Laurent Jimaja évoque aussi le vaudou, dont le Bénin est le berceau, qui, selon lui, contrairement aux religions révélées, ne classe pas les individus entre porteurs de la vérité et les autres. L’érudit cite le penseur et homme d’Etat sénégalais Léopold Senghor, espérant l’avènement d’une humanité universelle et d’un monde avec moins de barrières.

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«Les gens viennent m’engueuler»
Dans sa commune, le maire veut d’abord être jugé sur sa manière d’incarner la fonction. «Quand les habitants ont un problème, parce qu’ils se plaignent du bruit ou d’autres nuisances, ils viennent m’engueuler. Je trouve cela positif. Rien n’est pire que l’indifférence et les critiques, finalement, vous font connaître.» La vie de la commune, 12 000 habitants, une population appelée à augmenter, d’innombrables chantiers, est loin d’être un long fleuve tranquille.

Malgré la tempête qui s’est abattue sur la municipalité pour sa gestion des ressources humaines, le maire vient d’être réélu pour un second mandat de cinq ans. Il est le seul survivant de l’équipe précédente. Selon lui, la recette pour gagner une élection locale est simple mais nécessite patience et présence infatigable sur le terrain: «Les gens votent pour les candidats qu’ils connaissent, qu’importe leur origine», se convainc le politicien, désormais rompu aux campagnes.

La leçon de civisme
Son engagement politique n’allait pas de soi: «Tous les immigrés rêvent de revenir dans leur pays ou d’y finir leurs jours. Moi, j’ai finalement réalisé que je ne pouvais retarder sans cesse mon engagement pour la collectivité à un retour de plus en plus incertain au Bénin. Je voulais aussi donner un exemple de civisme à mes enfants. Il ne suffisait pas de parler, il fallait aussi agir.»

Les deux garçons sont désormais adultes, accaparés par leurs études et les débuts de la vie professionnelle. Il y a quelques années, l’un d’eux s’est présenté aux élections fédérales, sans succès. Qu’importe, Laurent Jimaja veut croire que la leçon n’a pas été vaine. «L’éducation de mes fils, il n’y a pas de plus grande fortune.»

Aline Paley pour Le Temps
C’est la naissance de son aîné qui l’a convaincu de rester au Grand-Saconnex. En 1989, Laurent Jimaja avait suivi sa compagne pour des vacances en Suisse. Il n’est pas rentré au Bénin, pas question de se dérober à ses nouvelles responsabilités. La famille est une affaire de transmission. Au Bénin, la sienne était plutôt traditionnelle: un père fonctionnaire, une mère femme au foyer, ménagère, comme on disait à l’époque, et de nombreux frères et sœurs. Dans les faits, les garçons faisaient autant de corvées ménagères que les filles, au grand étonnement des voisins.

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«Parlez-vous français?»
Le Bénin vient alors de gagner son indépendance. «On m’a parfois demandé si je parlais français. J’ai été élevé au sein en français, car cette langue restait le passage obligé pour réussir.» Il préfère s’amuser de ces préjugés. Après le coup d’Etat de 1972 et l’instauration du marxisme-léninisme, qui mènera le pays à la ruine, la famille envoie le jeune homme au Togo puis au Sénégal, où il finit ses études d’économie et de sciences de l’environnement.

«Il m’est apparu que cela n’avait pas de sens de défendre le travail ou le capital sans s’intéresser au cadre de vie», énonce le politicien. Il se souvient des piles électriques et autres bouteilles en verre jetées pêle-mêle dans les décharges béninoises. En Suisse, il rejoindra donc les Verts. «C’était bien avant la percée du parti.»

Quand il rentre chaque année au Bénin pour rendre visite à sa famille, ses cousins béninois lui donnent du «monsieur le maire». Laurent Jimaja s’en agace par modestie. Mais il y voit l’expression de leur fierté. Pour ses proches, le fait d’avoir été choisi par sa commune est la preuve éclatante de son intégration. Toujours consensuel, Laurent Jimaja évite de trop se mêler des querelles politiques béninoises, d’autant que l’un de ses cousins est le ministre des Affaires étrangères.

Le maire du Grand-Saconnex organise parfois des «causeries», où il aborde des thèmes généraux. «Comment faire comprendre le système de milice helvétique alors qu’en Afrique les positions politiques servent trop souvent à obtenir des avantages?» Autant il est prudent sur son pays d’adoption, autant il fustige la dépendance des pays africains et la frilosité de leurs dirigeants à critiquer les mains qui les nourrissent.

Depuis la mort de ses parents, l’exilé ressent un besoin plus pressant d’aller se recueillir sur leur tombe et de perpétuer les souvenirs. «J’aimerais aussi que mes enfants continuent d’aller au Bénin, comme on irait en pèlerinage.»

Simon Petite avec «Le Temps»

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