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La France, terre d’asile des acteurs du transfert d’argent international

La France, terre d’asile des acteurs du transfert d’argent international

13 milliards de dollars. C’est le montant total envoyé depuis la France par des particuliers dans leurs pays d’origine en 2017, d’après la Banque Mondiale.

Un marché que se partage aujourd’hui moins d’une dizaine d’acteurs. Et qui en attire de nouveaux à l’image de l’Américain Remitly, qui se lance dans l’Hexagone ce 17 avril 2019. Créé en 2011, ce spécialiste du transfert d’argent en ligne espère faire de la France un de ses plus gros marchés européens. Il recherche actuellement un responsable pour l’Hexagone et compte y ouvrir par la suite un bureau. A ce jour, la fintech compte 18 salariés en Europe, tous basés à Londres.

Pour conquérir les Français, Remitly a prévu de faire de la publicité en ligne mais aussi du marketing local offline. « Nous devons faire beaucoup d’efforts pour éduquer sur le produit digital car beaucoup de transactions à l’international se font en offline », confie Elena Novokreshchenova, VP Europe de Remitly.

Les deux leaders du marché français, MoneyGram et Western Union, ont chacun une présence dans le monde physique, avec des agences indépendantes ou des partenaires. Une formule qui plait puisqu’elle permet d’envoyer du cash, plus plébiscité dans les pays africains car ces derniers sont peu bancarisés. Pour répondre à ce besoin, Remitly permet de retirer de l’argent en espèces grâce à des partenariats avec plus de 140 000 banques dans le monde.

Remitly n’est pas le seul nouvel entrant en France. Orange Money, le service de transfert d’argent du groupe télécoms, a été lancé en France en mars dernier. Et il part avec un gros avantage : déjà 42 millions de clients dans 17 pays africains dont 15 millions utilisent le service tous les mois.

« Aujourd’hui, on fait du transfert dans un pays, du Mali vers le Mali, du Sénégal vers le Sénégal, et entre pays, de la Côte d’Ivoire vers le Sénégal, de la Côte d’Ivoire vers le Mali… Il manque le transfert depuis la France vers l’Afrique. C’est une attente extrêmement forte puisque ceux qui proposent aujourd’hui ces services le font à un coût extrêmement élevé pour l’utilisateur final », faisait remarquer Paul de Leusse, directeur général adjoint du groupe Orange en charge des services financiers mobiles, lors de la soirée de lancement.

Aujourd’hui, le service permet d’envoyer de l’argent de la France vers la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali et Madagascar. Suivront prochainement le Maroc, le Sénégal, le Burkina Faso, le Togo, le Bénin, le Vietnam et l’Inde. Pour déposer des espèces, 200 points de vente Orange Money (tabacs, maisons de la presse…) sont disponibles en France. A la fin de l’année, ils seront 500. Trois boutiques estampillées Orange Money ont ouvert à Paris (Bonne Nouvelle, Saint-Ouen et dans la zone RER des Halles). Un corner dédié sera également ajouté dans la boutique Orange d’Opéra.

Trois boutiques estampillées Orange Money ont ouvert à Paris
Les points physiques ont cependant un inconvénient : leur coût… qui est répercuté sur la tarification. Pour 100 euros envoyés en Côte d’Ivoire, . Orange Money facture 3,20 euros de frais, contre 4,90 euros chez Western Union et 4,50 euros chez MoneyGram.

Les fintech 100% en ligne, qui sont arrivées dans les années 2011-2012, ont cassé les prix. Chez Remitly, il faut s’acquitter de 2,99 euros quel que soit le montant. Chez les Britanniques World Remit et Azimo, les frais s’élèvent à 2,99 euros pour 100 euros envoyés.

Et cette attractivité semble payer. Azimo compte 150 000 clients en France et une croissance soutenue. « Le nombre de transactions augmente entre 50 et 100% par an. Aujourd’hui, la France est le deuxième marché le plus important pour nous derrière le Royaume-Uni », indique Michaël Kent, CEO d’Azimo. De son côté, World Remit est aussi très satisfait de ses résultats en France. Les transactions ont augmenté de 140% en 2018. « En Europe, c’est le marché qui a la croissance la plus rapide », confie Ismael Ahmed, patron de la fintech, qui ne donne en revanche pas le nombre d’utilisateurs français. Même pudeur du côté de TransferWise et Circle Pay, autres start-up spécialisées sur le transfert d’argent à l’international.

Paytop cesse son activité BtoC
Le Français Paytop est quant à lui beaucoup moins satisfait. Créé en 2012 et détenu par Truffle Capital, il compte arrêter son activité BtoC d’ici quelques semaines. « Le marché est devenu trop concurrentiel », lâche Julien Letourneux, son CEO. « C’est un secteur où il faut de très gros investissements car il fonctionne en préfinancement », ajoute-t-il. Pour délivrer de l’argent en quasi temps réel, il faut des fonds de côté. L’argent levé sert en général à financer ce processus. Remitly a levé au total 175 millions de dollars, Azimo 66 millions et Transferwise 480,7 millions de dollars. Les vieux acteurs font quant eux des volumes plus significatifs qui leur permettent de couvrir ce préfinancement, ainsi que des marges plus élevés que les jeunes pousses.

Pour le patron de Paytop, il y aussi une forte concurrence sur le terrain du réglementaire. « Il y a une distorsion de la concurrence liée à l’identification du client. Selon le pays où on est régulé, on n’a pas les mêmes contraintes. Certains régulateurs demandent moins de pièces justificatives », regrette Julien Letourneur. Western Union est pour sa part régulé en Autriche (mais valable dans toute l’UE), « moins regardant », assure le patron de Paytop.

En janvier dernier, le géant américain a écopé d’une amende d’un million d’euros et d’un blâme de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). L’organisme français reproche au spécialiste du transfert d’argent à l’international de ne pas connaître assez bien ses clients, l’origine des fonds transférés et leur bénéficiaire. Ce n’est pas la première fois que l’Américain se fait taper sur les doigts. Aux Etats-Unis, Western Union avait accepté de verser 586 millions de dollars aux autorités pour des manquements dans des contrôles anti-blanchiment.

Paytop a donc pris le virage du BtoB en 2018 et propose désormais une offre en marque blanche aux institutions financières et aux structures qui proposent des services communautaires. La start-up française a signé trois contrats et vise entre cinq et dix nouveaux clients par an.

Les banques françaises, qui ont aussi leurs propres offres souvent assez chères et peu transparentes, pourraient tirer parti d’acteur comme Paytop pour regagner des parts de marché. BPCE (via sa filiale Natixis Payments) s’est associé à Transferwise en juin 2018 pour permettre aux 15,1 millions de clients particuliers des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne d’effectuer des transferts d’argent « vers plus de 60 pays au meilleur taux de change », précise un communiqué. Suite à une phase pilote menée en 2018, le partenariat a été pleinement mis en œuvre début 2019.

Transferwise, pour qui la France représente désormais le troisième marché européen, a également signé un partenariat global avec N26. Les néobanques, qui ont vocation à devenir des marques mondiales, sont aussi bien placées pour prendre une part du gâteau. Car même si aucune d’entre-elles n’est présente dans les pays peu bancarisés, leur expansion géographique s’accroît de mois en mois.

Charlie Perreau JDN

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