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La douloureuse prise de conscience par les diplômé·e·s noir·e·s d’un racisme qui ne dit pas son nom

Selon un adage qui circule dans les sociétés dites « coloristes », où les hiérarchies sociales se doublent d’une hiérarchie fondée sur une graduation des apparences raciales, « l’argent blanchit ». Le fait de ne pas appartenir aux classes populaires protégerait donc du racisme ?

Répondre à cette question dépend de la définition que l’on donne du racisme. Si l’on s’en tient à ses manifestations les plus ouvertes et les plus violentes, alors le fait d’avoir un niveau de diplôme élevé peut constituer un facteur de relative protection. Toutefois, alors que depuis quelques décennies, on assiste à des mécanismes de mise à distance du racisme de la part des milieux sociaux favorisés en Europe occidentale et en Amérique du Nord, ceux-ci faisant de l’expression d’idées racistes un signe d’arriération et d’infériorité morale censée être l’apanage des seules classes populaires, éditorialistes et politiciens nous rappellent chaque jour l’importance du discours des élites dans la propagation de l’idée de race.

Prendre conscience du racisme et des discriminations subis : un processus douloureux

Partant du principe que c’est le racisme qui crée la race, j’ai cherché à comprendre par quels processus on « devenait » noir·e et s’identifiait comme tel·le. Cela dépend pour une bonne part de la classe sociale dans laquelle on évolue.

Pour celles et ceux qui ont grandi dans des quartiers populaires fortement ségrégués, socialement et racialement, l’identité raciale apparaît comme une évidence : « Eh bien oui, je suis noir·e, c’est comme ça ». Mais lorsque le milieu familial ou social est plus favorisé, il y a souvent un déclencheur, un moment à partir duquel les personnes interrogées commencent à se penser puis, éventuellement, à se revendiquer comme noires. Ce processus est souvent douloureux. Ces gens diplômés, évoluant dans des milieux relativement favorisés, croyaient plus que d’autres aux promesses égalitaristes et méritocratiques du credo républicain. Mais, face aux obstacles répétitifs qu’ils rencontrent dans l’accès à l’emploi, ils réalisent qu’ils font confrontés à une discrimination massive.

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Des actes et des mots discriminants qui, considérés ensemble, font système

Si la plupart des diplômé·e·s racisé·e·s intériorisent l’univers symbolique dominant (le fait qu’il est normal de trouver certaines personnes — et d’autres non — dans certaines positions, en particulier de pouvoir), cela ne veut pas dire qu’ils et elles s’en accommodent. Ils comprennent que, mis ensemble, ces pratiques, comportements et remarques, qui ne s’affichent pas ouvertement comme racistes ni ne cherchent à nuire, font système. C’est un véritable apprentissage politique qui permet d’identifier certaines attitudes, mots ou actes en tant que révélateurs d’un rapport social basé sur une hiérarchie entre les races.

Les remarques ou les actes qu’ils et elles subissent ont pour effet, sans en avoir l’air et sans que leurs auteurs en soient forcément conscients, de les maintenir dans un statut minorisé. Même s’il n’y a pas de lien mécanique entre le niveau de diplôme et la prise de conscience, avoir fait des études aide à replacer ces pratiques et ces comportements isolés dans un contexte plus large.

Certaines des personnes les plus diplômées (en particulier celles passées par les grandes écoles), les plus aisées financièrement ou dotées des meilleurs réseaux arrivent à retourner le stigmate ethnique ou racial pour en faire une ressource dans la compétition visant à promouvoir les « talents issus de la diversité ». C’est ce que font, par exemple, les membres du Club XXIe Siècle (inspiré du club Le Siècle qui réunit des représentants des élites françaises, elles-mêmes fort peu « diversifiées »), avec quelques cas de réussites spectaculaires comme Rachida Dati, Rama Yade ou Fleur Pellerin.

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En 2014, six élèves de l’École nationale d’administration ont lancé sur Internet une initiative de lutte contre les « clichés », comme l’ont fait leurs camarades des grandes universités américaines.

Le racisme, conçu comme un type particulier de rapport social, maintient le statu quo de classe

Malgré ces remarquables exceptions, beaucoup se heurtent (comme un rappel à l’ordre de classe) à un plafond de verre. Ils et elles se retrouvent cantonné·e·s à certains segments d’un marché du travail organisé et stratifié en fonction des représentations associés aux différents groupes d’origine. Ainsi semble-t-il plus ou moins « naturel » de trouver des personnes « noires » occupant telle ou telle fonction. Le racisme, conçu comme un type particulier de rapport social, tend donc globalement à maintenir le statu quo de classe. Il s’exprime symboliquement par du mépris, mais surtout par de la discrimination qui permet de contrôler la mobilité sociale et sauvegarder un ordre social basé sur « la race ».

Un tombereau d’injures racistes s’est abattu sur la Garde des Sceaux Christiane Taubira, seule femme noire à ce jour à avoir exercé un ministère régalien en France. Cela nous rappelle qu’à tout moment et quelle que soit la fonction qu’elles occupent, les personnes racisées peuvent être évaluées, discréditées et globalement tenues pour comptables de leurs actions au nom de leur couleur et des stéréotypes qui y sont accolés.

 

Christian Poiret, sociologue

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