Après avoir mis son talent au service de Christiane Taubira, ce centralien et énarque d’origine sénégalaise soutient Emmanuel Macron. Il envisage aujourd’hui de se présenter aux législatives.
Le deux-pièces d’Alexandre Aidara, situé sur une avenue populaire d’Aubervilliers, est presque vide. Dans son salon exigu : un canapé, une télévision, une table sur laquelle s’éparpillent des sourires d’Emmanuel Macron, de dépliant en dépliant. Au mur, pas de photo d’enfant ou d’épouse chez ce militant célibataire, mais, sous un masque yoruba, un panonceau « Emmanuel Macron président », encore. Et une citation de Barack Obama : « Our destiny is not written for us, it’s written by us » (« notre destinée n’est pas écrite pour nous, mais par nous »). Seul vrai meuble de la pièce, une bibliothèque. « On pourrait tout deviner des gens en regardant leurs livres », sourit notre hôte en apportant un café.
Premier de la classe au Sénégal
Sur une des étagères apparaissent justement Ce que je crois, collection d’essais de Senghor, et un ouvrage sur Les Étudiants étrangers en France. Avant de devenir cet énarque brillant œuvrant dans les ministères parisiens, Alexandre a été l’éternel premier de la classe de Louga, une ville moyenne à environ 70 km de Saint-Louis, à l’ouest du Sénégal.
Cet homme élancé, qui s’astreint à deux séances de course à pied par semaine et a pratiqué la boxe — « américaine, celle de Mohamed Ali », précise-t-il –, est né il y a quarante-neuf ans dans un milieu « pas spécialement privilégié ». Sa mère gère des petites boutiques. Son père est instituteur, mais joue aussi les médiateurs dans son quartier. Il se bat par exemple pour que tous les habitants aient accès à l’électricité… et que le petit Alexandre n’apprenne plus à lire à la lumière des lampes à pétrole.
Un élu doit vivre aux côtés de ses électeurs : aller au marché, à la piscine, au kebab du coin…
À 18 ans, grâce à une bourse, cet amoureux des sciences dures part étudier les mathématiques à la faculté de Strasbourg. Dans sa bande d’amis, il est celui qui, appliquant une discipline monastique, refuse les soirées pour réviser ses examens : « J’avais une chance unique, je ne voulais pas la gâcher. » Maîtrise en poche, il tente et réussit l’École centrale, creuset de l’élite des ingénieurs français.
Près des gens
« C’est à l’issue de ce cursus que j’ai vécu l’une de mes premières expériences de discrimination, se souvient le Sénégalo-Français. Nous étions trois, une Libanaise, un Malgache et moi, à ne pas trouver de stage de fin d’études, alors que notre spécialité, la mécanique des structures, était particulièrement recherchée. » On repère d’autres ouvrages dans sa bibliothèque : Une colère noire, du journaliste africain-américain Ta-Nehisi Coates, La Condition noire, de l’historien français Pap Ndiaye… C’est de cette prise de conscience qu’est né son engagement.
Tandis qu’il travaille dans la société de consulting Accenture, il prend sa carte au PS. « Je faisais tout : tracter, coller des affiches… et je fais encore tout. Pour moi, en politique, il ne doit pas y avoir de séparation entre les “intellos” et les manuels. Un élu doit vivre aux côtés de ses électeurs : aller au marché, à la piscine, au kebab du coin… Oui, un élu doit manger des kebabs ! »
Christiane Taubira m’a appris que la politique, ce n’est pas que de la technocratie, c’est de la chair, des cœurs, du vivant
Après dix ans dans le privé, en 2006, il décide de servir l’État. Et, comme toujours, il voit les choses en grand : il vise l’ENA. Personne n’y croit, il réussit du premier coup. Le voilà bientôt administrateur civil à la direction du budget. Et enfin, à la faveur de la victoire de Hollande à la présidentielle, il rejoint le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Deux ans plus tard, il fait équipe avec Christiane Taubira.
« C’est une personnalité hors norme, capable de travailler nuit et jour. Elle s’est donnée à 200 % malgré l’adversité, les insultes racistes. Et même si elle était exigeante, nous avions aussi en réunion des fous rires à pleurer ! » Le jour de sa démission, « le mercredi 27 janvier 2016 », se souvient-il, il filme la garde des Sceaux prenant dans ses bras chacun de ses collaborateurs, parfois au bord des larmes. « Elle m’a appris que la politique, ce n’est pas que de la technocratie, c’est de la chair, des cœurs, du vivant. »
Barrer la route au FN
Son énergie, Alexandre Aidara la met aujourd’hui au service d’Emmanuel Macron, qu’il a croisé au club de réflexion Terra Nova et qui, assure-t-il, « n’est pas si éloigné que ça de l’ancienne ministre de la Justice, notamment sur la question de la colonisation ». Le PS ? Toujours une famille, mais qui laisse certains de ses membres – les femmes, les militants issus de la diversité – encore trop à la lisière des élections. Or, aujourd’hui, l’éternel homme de l’ombre aspire à la lumière.
Je ne veux pas du FN et je pense, au contraire de certains, qu’il peut tout à fait prendre le pouvoir
Il se présente à l’investiture de son nouveau parti pour les prochaines législatives dans la circonscription Aubervilliers-Pantin. « Je veux m’investir là où il y a des problèmes… L’ambition n’a de sens, n’est saine, que si elle ne sert pas au profit ou au prestige personnel », explique-t-il avant d’ajouter gravement : « Je ne veux pas du FN, d’un mouvement qui déchire la société, et je pense au contraire de certains qu’il peut tout à fait prendre le pouvoir. » Sur la table, le livre d’Emmanuel Macron, Révolution. Dans quelques mois peut-être, Alexandre Aidara écrira son propre destin.
Jeune Afrique