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« Les Français, c’est les autres », un docu sur l’impasse identitaire

« Les Français, c’est les autres », un docu sur l’impasse identitaire

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« Les Français, c’est les autres », un documentaire réalisé par Isabelle Wekstein-Steg, avocate, et Mohamed Ulad, réalisateur, nous tend un miroir dans lequel nous n’aimons pas nous voir, ou plutôt voir la société que nous avons laissé fabriquer à notre insu – ou avec notre complicité ?

RÉSUMÉ

A la question «Qui est français ?», la quasi-totalité des élèves d’une classe de terminale lève la main. Mais pour répondre à cette autre question, «Qui se sent français ?», aucun bras ou presque ne se détache. «Les Français, c’est les autres» donne la parole à de jeunes lycéens dont la quasi-totalité est issue de l’immigration, principalement d’origine maghrébine et africaine. Ils semblent rejeter résolument leur appartenance à la France et revendiquer un nouveau communautarisme. Dans le même temps, ces jeunes s’agrippent à la culture et aux traditions de leur pays d’origine, celui de leurs parents, qu’ils connaissent pourtant à peine ; et lorsque ces élèves ont la chance de s’y rendre, ils sont taxés d’immigrés.. Cette crispation identitaire, à laquelle s’ajoute un sentiment de n’être nulle part à sa place, génère l’apparition de préjugés envers eux-mêmes et envers les autres.

Questions compliquées…

En un mot, c’est un film qui montre la complexité. Et pourtant, c’est aussi un documentaire dans lequel tous ceux qui cherchent des réponses simples à des questions compliquées vont pouvoir s’engouffrer :

Et pourtant, si on ne se laisse pas arrêter par ces éléments qui sautent aux yeux et qu’on entre justement dans la complexité, « Les Français, c’est les autres » frappe par ce qu’il dit de notre histoire et de notre époque.

D’abord cette scène emblématique, qui reste gravée quand on a fini de visionner le film. Les deux auteurs, l’une juive, l’autre musulman, rompus à l’animation de dialogues à deux voix avec la France des banlieues et des stéréotypes, posent deux questions à une classe de lycéens en grande majorité « issus de l’immigration », comme on dit pudiquement :

« Qui est français ? »

Tout le monde lève la main.

« Qui se sent français ? »

Une seule main se lève dans la classe, celle d’une jeune noire qui explique que, dans sa tête, elle est « blanche ». Un autre répond que le Français, pour lui, c’est un blond aux yeux bleus propre sur lui…

Impasse identitaire française

Cette scène résume l’impasse dans laquelle la société française s’est engagée depuis trente ans, et qui a produit des ghettos urbains et sociaux, une société à deux vitesses dans laquelle celle des quartiers périphériques s’est retrouvée progressivement marginalisée, exclue.

Ces jeunes filmés par Isabelle Wekstein-Steg et Mohamed Ulad grandissent à quelques kilomètres seulement du centre de Paris. Mais quand les deux auteurs les emmènent filmer et interroger les passants dans une rue commerçante de la capitale, leur première réaction est la surprise : « Ils nous ont parlé normalement. »

Cette normalité-là, ou plutôt son absence dans leur quotidien, c’est finalement le vrai problème dans un pays qui n’a que l’expression désuète « vivre ensemble » à la bouche.

Cette incapacité à se sentir français quand la France ne les regarde généralement pas comme vraiment français m’a rappelé une jeune Lilloise d’origine marocaine que j’avais rencontrée en Chine il y a plus de dix ans, et qui me disait que sa plus grande surprise dans l’empire du Milieu était de se sentir vraiment française pour la première fois.

Devant ma surprise, elle m’avait expliqué que dans le regard des Chinois, elle était une Française comme les autres, alors qu’en France, il lui fallait assumer un prénom arabe qui rendait tout plus compliqué, logement, travail… Accablant.

Crispation identitaire

Le documentaire illustre parfaitement la crispation identitaire qui s’est emparée de la France, au point que ces jeunes issus de l’immigration s’interpellent en reprenant les stéréotypes les plus racistes sur eux-mêmes, un humour cruel et dévalorisant qui en dit long sur leur environnement.

L’une des interventions les plus lumineuses de ce film est celle de l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’Algérie et président du musée de l’Immigration à Paris, qui explique la mutation générationnelle de l’immigration en France, avec une troisième génération née en France qui s’invente un imaginaire identitaire artificiel, faute d’intégration ou de possible « retour ».

Au passage, signalons que Benjamin Stora publie un livre d’entretien avec l’écrivain Alexis Jenni, intitulé « Les Mémoires dangereuses » (éd. Albin Michel, janvier 2016), dans lequel il explique pourquoi la France ne parvient pas à digérer son passé colonial, et comment un « grand récit » national englobant les aspects les moins glorieux de cette histoire ferait beaucoup pour recréer une identité commune en France.

Internet, fenêtre hors du ghetto

Un des sujets récurrents du documentaire est la place d’Internet dans l’univers de ces jeunes, au point qu’on en vient à penser que la seule fenêtre hors du « ghetto » – un mot qu’ils emploient eux-mêmes – est le Web. Mais le sujet est mentionné, effleuré, jamais réellement traité à la place qu’il occupe désormais dans leurs vies.

Le Web leur permet-il réellement de sortir du ghetto, ou les y enferme-t-il ? Et si, comme on le devine, leurs parcours numériques comportent autant d’enrichissements que de pièges qui leur sont tendus, comment peuvent-ils les éviter ?

A voir le désarroi des profs dans le documentaire, qui avouent leur impuissance régulière face à des situations ingérables, ou peut-être auxquelles ils n’ont simplement pas été préparés et formés, ils ne sont pas en mesure, pas même mandatés, pour les y aider sur ce terrain-là.

Pourtant, s’il est un enjeu majeur pour l’éducation nationale, et au-delà pour notre société, c’est bien celui d’apprendre à devenir un citoyen numérique, partie intégrante de la formation du citoyen tout court.

Ce documentaire ouvre plein de portes sur l’avenir de notre société. Il est désespérant sur le constat, mais il l’est moins sur les possibilités de sortir de l’impasse. A condition de le vouloir, tous.

 

 

Source : « Rue89 – L’Obs

 

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