Si les propos du président de l’ONG « Horizon sans Frontières», invitant les autorités à rendre compte de l’usage fait des fonds alloués par l’Union Européenne dans la lutte contre l’émigration clandestine, ont valu à son auteur des démêlées judiciaires, les jeunes Mbourois refoulés d’Espagne ne disent pas le contraire.
Après plusieurs années d’attente, ils se disent aujourd’hui déçus par la tournure des événements. Face à toutes ces promesses vaines de l’Etat, ils dénoncent une politique politicienne méprisante et inhumaine.
Quartier Tefess. Il est 15 heures. Dans ce coin baigné par les effluves de l’océan, les rigueurs du soleil se font moins sentir en cet après-midi. Nous avons rendez vous avec la famille Diop dont l’ainé, la quarantaine, a été de l’une des expéditions maritimes sur l’Espagne en 2016.
Ce jeune homme porte encore les stigmates de son voyage périlleux même s’il avait pu atteindre sa destination. Depuis lors, il attend désespérément une aide de nos autorités. « C’est en 2016 que j’avais tenté l’aventure. Au bout de huit jours, notre pirogue était arrivée à destination sur les côtes espagnoles.
Dès notre arrivée, je m’étais organisé de sorte à passer un coup de fil à ma mère pour l’en informer… (Il s’interrompt, hoche la tête tandis que ses yeux commencent à larmoyer). Ma défunte mère pour qui j’avais tenté cette aventure si périlleuse nous a quittés juste quelques mois après mon rapatriement.
A ce moment-là, on nous avait promis un soutien financier pour nous aider à mieux redémarrer nos activités. Depuis lors, j’attends.
Mais je n’ai pas touché un seul centime provenant de ce fonds. Pourtant, j’avais bien été recensé. Deux de mes amis se trouvent dans cette situation. Et du fait des difficultés que nous vivons du fait de la crise au niveau du secteur de la pêche, j’ai même tenté de nouveau d’émigrer en 2019… Rien de ce qui nous avait promis alors n’est réalisé », soutient S. Diop.
Sur ses conseils, nous nous rendons au domicile de I.W. Informé du mobile de notre déplacement, il raconte sans se faire prier son histoire. « Grand frère, pour être bref, je vous dis que toutes ces annonces ne sont que de la poudre aux yeux. On nous parlait de milliards de l’Union Européenne dans le cadre du Frontex.
Moi, en tout cas, en ce qui me concerne, je n’ai pas bénéficié d’un quelconque soutien. Et je ne connais pas non plus dans Mbour un candidat à l’émigration clandestine qui en ait bénéficié. C’est comme si nos gouvernants nous prenaient pour des demeurés. De grâce, s’ils sont incapables de nous offrir les conditions pour notre épanouissement économique, qu’ils nous laissent braver la mer à nos risques et périls !
Peut-être que notre rêve de vie meilleure pourrait se réaliser outre Atlantique », plaide I.W.
Une attente désespérée Dernier à être rencontré, P. Guèye, la trentaine, habite le quartier voisin, Golfe. Rescapé de la pirogue qui avait chaviré au large de Nouakchott en novembre dernier, son corps laisse apparaitre les traces de ses blessures et autres contusions.
Un de ses doigts est endommagé. Il nourrit le même sentiment de déception et de dépit que ses deux collègues S. Diop et P. Guèye. « Comme je vous l’ai indiqué, moi je n’ai pas pu joindre l’Espagne. Notre voyage s’est arrêté en Mauritanie où notre pirogue a eu des défaillances techniques. Nous avons été rapatriés par avion et nous sommes rentrés sains et saufs mais traumatisés par les rigueurs du voyage et ce rêve brisé.
Dès notre retour, on s’est vu dire que nous serions indemnisés et qu’on devrait chacun d’entre nous recevoir une pirogue en fibre de verre du moment que nous tous avions vendu nos pirogues pour financer notre voyage. Cela fera bientôt deux mois et nous sommes toujours dans l’attente de la réalisation de cette promesse. Je n’y crois plus pour vous dire vrai », assène notre interlocuteur.
A Mbour, ce sont ainsi de milliers de gens qui évoluent dans le secteur de la pêche qui attendent désespérément leur part des fonds alloués par l’Union Européenne dans le cadre du dispositif Frontex mis en place au milieu des années 2010 pour mieux aider les pays émetteurs de voyageurs clandestins à initier des programmes aptes à offrir de l’emploi et des revenus décents aux candidats à l’émigration clandestine.
Comme Boubacar Sèye, le président de l’ONG « Horizons sans Frontières » embastillé pour avoir suggéré un audit sans complaisance de la gestion de ces fonds, tous nos interlocuteurs soutiennent que cet audit est nécessaire. Il y va, disent-ils, de la possibilité pour nos Etats de maitriser cette question brûlante de l’émigration irrégulière par voie maritime vers l’Europe. Laquelle, chaque année, s’accompagne d’un lot macabre chez les candidats.
Etienne Ndiaye