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Femmes migrantes : Des fleurs pour panser les blessures de l’exil

À Paris, un atelier de création floral aide les femmes exilées – et les femmes en situation de précarité – à se reconstruire autour des plantes. Les cours ont lieu dans le centre d’hébergement Merice, et sont animés par des fleuristes de l’association Du pain & des roses. Pour les participantes, ces heures de loisirs sont un moment de bien-être et de partage qui peut parfois même susciter des vocations. Reportage.

« Ça me plaît de plonger mes mains dans les fleurs. J’adore cette sensation ». Chrysanthèmes, eucalyptus, fleurs de carotte… Devant tous ces végétaux éparpillés sur la table, Ami* sourit. Entourée de neuf autres femmes, elle participe, ce mardi 29 octobre, à un atelier de conception florale, dans le centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Merice, situé dans le 11e arrondissement de Paris.

Il y a encore trois ans, Ami n’avait jamais vu ces variétés de fleurs peu communes voire inexistantes dans son pays d’origine, la Côte d’Ivoire.

La jeune femme, âgée de 38 ans, a quitté sa terre natale et son mari en 2016 après un mariage forcé. Là-bas, son mari voulait qu’elle subisse une excision. Pour leur petite fille, il avait prévu le même scénario. « J’ai refusé fermement alors il a pris un couteau et m’a menacée », se souvient Ami, qui attend toujours la réponse à sa demande d’asile.

Pour elle, cet atelier floral, animé par l’association du Pain & des Roses, lui offre une bouffée d’air frais, une façon de penser à autre chose. C’est aussi le cas de Matoumona*, une Congolaise qui a fui un mariage forcé avec son beau-frère. La femme de 32 ans préfère se concentrer sur sa formation plutôt que de parler de sa vie passée. « Je ne savais pas comment mettre en valeur des fleurs et les préparer pour faire des compositions. Maintenant, j’en suis capable », se félicite-t-elle. Au sein de cette structure exclusivement féminine, toutes les participantes accueillies ont subi des violences.

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Aidée par d’autres participantes, Matoumona grimpe sur l’escabeau pour placer le feuillage autour de l’arche

« Reprendre un rythme de vie »

Plus qu’un savoir-faire, l’art floral les aide à regagner confiance en elles, loin des démarches administratives, des rendez-vous médicaux. « Elles montrent ce qu’elles savent faire tout étant tenues de respecter l’heure du rendez-vous hebdomadaire. Cela leur permet de reprendre un rythme de vie », détaille Mustapha, un des animateurs de l’atelier. « Parfois, elles se racontent leur parcours et se motivent. C’est une belle façon de découvrir le travail en équipe. »

« Nous sommes dans l’ambiance, on rigole bien ! », se réjouit, de son côté, Tarya*. Âgée de 61 ans, cette Camerounaise a beau avoir passé vingt ans en France, elle ne bénéficie plus de titre de séjour depuis trois ans. Le temps de quelques heures, Tarya parvient à faire le vide. Alors que le reste de l’équipe contemple l’arche, elle s’empresse de prendre la pose et de sourire devant les appareils photos. « Regardez la star ! », s’exclament les autres.

Cet atelier rappelle aussi à certaines femmes leur pays d’origine. « Beaucoup d’entre elles sont issues d’un milieu rural ou ont exercé un métier manuel », analyse Mustapha.

Après avoir fini de réaliser son bouquet, Matoumona, venue de RDC, contemple les autres participantes encore en plein travail

L’art floral comme exutoire

Chaque mardi, elles s’échinent à apprendre le b-a-ba du métier de fleuriste. Après la création d’un bouquet et d’un centre de table, le groupe se lance cette fois-ci dans la réalisation d’une arche florale, un objet décoratif très en vogue. « C’est utile pour faire de l’événementiel, notamment pour des mariages », commente Laetitia, fleuriste salariée pour l’association Du pain & des roses. En face d’elles, les apprenties fleuristes écoutent avec attention.

C’est la première fois qu’elles conçoivent une œuvre collective. Un moyen pour elles de mieux se connaître, malgré leurs parcours certes éclectiques. « Certaines femmes sont exilées, d’autres ont vécu des situations d’addiction, ont été victimes de violences conjugales ou ont des parcours de rue », décrit Mustapha, animateur. « Quoi qu’il en soit, ces femmes ont tout perdu à un moment de leur vie. »

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Dans le patio du centre, les femmes s’apprêtent à décorer la haute structure en métal. « C’est à vous de répartir les couleurs pour que le rendu soit joli », motive Laetitia. Autour de ce grand tuteur, chacune s’affaire : l’une monte sur l’escabeau, quand d’autres piquent les fleurs dans les feuillages ou coupent les tiges en biseau. Au bout de leur sixième séance, les apprenties sont déjà bien rodées.

Ami, demandeuse d’asile originaire de Côte d’Ivoire, participe à un atelier de composition florale de l’association Du pain et des roses. Une dizaine de femmes ont réalisé, ce jour-là, une arche florale

Faire naître des vocations

Si pour certaines comme Tarya, la Camerounaise, cet atelier est d’abord un loisir, pour d’autres, il s’agit d’un tremplin vers un avenir professionnel. Ami, par exemple, ne cache pas ses ambitions. « J’ai envie être fleuriste depuis toute petite. Dans mon pays, je voyais plein de fleurs pendant les cérémonies et les mariages. Mais je n’ai pas eu la chance de pouvoir me former à ce métier là-bas », affirme-t-elle.

Pour saluer leur investissement, les participantes se reverront remettre, au terme de sept semaines d’apprentissage, un certificat de formation. Ce diplôme non reconnu par l’État est avant tout symbolique : il sert à pousser ces femmes à croire en elles. « Nous ne souhaitons pas simplement animer des ateliers et ensuite disparaître de leurs vies. Nous ne voulons pas nous arrêter là », explique Marie Reverchon, la directrice de l’association.

Et pour preuve, Du pain & des roses compte employer une ancienne participante, une Équatorienne réfugiée en France. D’ici quelques mois, elle sera employée en CDI, d’après Marie Reverchon. « Le but ultime », est, selon elle, déjà atteint. Il ne manque plus qu’à former d’autres nouvelles fleuristes : peut-être des résidentes du CHRS Merice

*À la demande des intéressées, les prénoms ont été changés.

Pour contacter l’association Du Pain & des roses, vous pouvez écrire à cette adresse : contact@dupainetdesroses.org

À la fin de l’atelier, Matoumona photographie Ami sous l’arche florale qu’elles viennent de réaliser.
Tarya, Camerounaise sans papiers, Ami, demandeuse d’asile originaire de Côte d’Ivoire et Matoumona, demandeuse d’asile venue du République démocratique du Congo participent à un atelier de composition florale de l’association Du pain et des roses aux côtés de Lucile (à droite), fleuriste

 

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