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En Afrique, les « voleurs de sexe » alimentent les rumeurs

En Afrique, les « voleurs de sexe » alimentent les rumeurs

Des cas de rétrécissement ou de disparation de sexe sont souvent rapportés par la presse locale. Légende urbaine, mode d’emploi.

Depuis le début des années 70, dans toute l’Afrique de l’Ouest, des affaires insolites font jaser la population et alimentent les rubriques faits divers des journaux. Dans la rue, des hommes déroberaient le sexe de certains passants… La rumeur se répand. Comme par hasard, les coupables sont toujours des étrangers.

Exemple au Sénégal avec ce titre d’un journal : « Il vole le sexe d’un adolescent et le rend sous les menaces. » On y apprend ceci :

« Yaya Sylla a échappé à une mort certaine, mais il nie encore. Mardi dernier, le Guinéen a échappé de justesse à une foule en furie, qui l’accusait d’avoir volé le sexe du jeune P.D. »

L’article raconte ensuite comment, accusé par la foule, Yaya Sylla se met à faire des incantations :

« Selon la tutrice de la victime […] : “Quand on a menacé de le tuer, il a demandé à ce qu’on lui apporte un Coran, de l’ail, de l’eau et du citron…. Sylla a fait des incantations. Il a lavé le garçon et quelques minutes après, lui a remis un sexe. ”

Problème, celui qu’il a remis à ce jeune de 17 [ans] n’était pas le sien. “Il a interverti les termes du Coran. C’était plus gros.” »

Accusé de sorcellerie et lynché par la foule

De fait, c’est toujours le même scenario. Un homme en salue un autre ou le touche, c’est alors que son sexe rétrécit, voire disparaît. L’homme « spolié » hurle alors au vol de sexe. Ernest, un ami sénégalais, a assisté plusieurs fois à ces scènes :

« J’ai vu des gens se faire tabasser pour avoir volé le sexe de quelqu’un. »

La plupart du temps, effectivement, la foule lynche celui qu’on accuse de sorcellerie, parfois jusqu’à ce que mort s’en suive.

Julien Bonhomme, anthropologue au département de recherches du musée du Quai-Branly, est l’auteur d’un livre passionnant sur le phénomène des voleurs de sexe en Afrique.

Outre l’explication évidente d’une peur collective de la castration, il évoque « un sentiment de solidarité » pour expliquer la réaction violente de la foule :

« Les gens se disent : “Ça aurait très bien pu être moi la victime du voleur de sexe.” Par ailleurs, le phénomène de lynchage s’inscrit dans des traditions de mobilisation et de violence collective.

Les gens n’ont absolument pas confiance en la police et en la justice. Et puis il y a enfin la croyance que tabasser le voleur permet de récupérer le sexe volé. »

Pourquoi un tel succès pour cette rumeur ?

Le premier cas de vol de sexe remonterait aux années 70, au Nigeria. Depuis, la rumeur s’est répandue dans toute l’Afrique de l’Ouest et même en Afrique centrale.

Après avoir trouvé, comme tout le monde, ces faits divers « cocasses », Julien Bonhomme s’est vite rendu compte de leur intérêt anthropologique :

« L’enjeu plus général des affaires de vols de sexe, c’est : “Comment on étudie une rumeur en anthropologie ?” »

Dans son livre, il s’applique donc à tracer le circuit de la rumeur et répond à cette question générale : pourquoi la rumeur des vols de sexe se répand-elle si bien ?

Une histoire bonne à raconter

Chaque fois que j’ai raconté l’histoire des vols de sexe à des amis occidentaux, j’ai toujours obtenu la même réaction. Des yeux écarquillés d’étonnement, puis : « Hein ? Quoi ? Mais c’est vrai ou pas ? »

Que ce soit vrai ou pas contribue en réalité largement à la diffusion d’une légende qu’on aime se raconter pour se faire peur, pour le plaisir d’une histoire folle ou tout simplement par précaution, comme l’évoque Julien Bonhomme dans son livre :

« La rumeur est en tous cas suffisamment menaçante pour qu’il soit imprudent de ne pas y croire au moins un peu. »

L’anthropologue précise donc qu’« il n y a pas besoin d’être crédule pour que la rumeur se diffuse ».

« L’urgence serait plutôt de s’occuper des voleurs de seins »

D’ailleurs sur des forums où le sujet est abordé, les avis sont souvent partagés entre méfiance et amusement. « Il existe des choses bizarres dans la vie, alors il ne faut pas nier parce que l’on se croit plus malin que la masse », estime ainsi un lecteur.

Tandis que sur un forum, dans un sujet intitulé : « Croyez vous aux voleurs de sexe ? », un internaute ironise :

« L’urgence serait plutôt de s’occuper des voleurs de seins… Parce que vu le nombre de nanas qui ressemblent à des planches à pain. »

Des médias pour la propager

Autre élément explicatif de l’expansion de la rumeur : les médias. Ces derniers titrent parfois en une sur les faits divers de vols de sexe et sur les lynchages. Pour Julien Bonhomme, loin des clichés d’une Afrique superstitieuse et arriérée, les affaires de vols de sexe révèlent le nouveau pouvoir des médias sur place.

Pour Julien Bonhomme, qui s’est basé pour son étude sur les articles de presse, « travailler sur les voleurs de sexe, c’est aussi une manière de travailler sur la presse et les journalistes africains. » Il estime globalement qu’ils font bien leur travail.

« Ils sont comme tout un chacun, ils appartiennent à une société où le vol de sexe n’est pas considéré comme totalement impossible, mais en tant que journalistes professionnels ils sont amenés examiner de manière critique le fait divers. »

Les journalistes bien forcés d’y croire un peu

Le 13 septembre dernier, un journaliste sénégalais au Populaire, écrivait un article sur un cas de vol de sexe. « Le quartier Sam Notaire secoué par une affaire de vol de sexe ». Joint au téléphone, il explique : « Personnellement, je ne peux pas dire que je crois vraiment à ça », pour autant, en tant que journaliste, il est ennuyé :

« Sur des affaires comme celles-là, je ne peux pas dire si réellement ou pas il y a eu rétrécissement de sexe. Ce qui nous incite à croire que c’est possible, c’est qu’il y a eu beaucoup de victimes et en plus, ce sont des adultes. C’est possible que ce soit vrai, mais effectivement, c’est illogique. »

Pour lui, la difficulté de taille dans le traitement de ces affaires est la suivante :

« En général quand ça arrive, on n’est pas sur place donc nous, à notre niveau, on ne peut pas savoir si c’est vrai ou si c’est faux… »

Le défouloir du groupe

Souvent, pour expliquer la multiplication de faits divers de vols de sexe dans une même période, les journalistes évoquent un aspect « cathartique ». Face à une crise, quelle qu’elle soit (politique, sociétale, économique), on se défoule sur un voleur de sexe. Julien Bonhomme nuance :

« Il y a des cas de vols de sexe dans des périodes où tout va bien, où il n y a ni tension politique, ni problème économique exceptionnel. C’est un bon facteur renforçant, mais il n’est pas nécessaire pour que cela se produise. »

Pour autant il souligne :

« Il y a un lien très fort entre le sexe comme organe génital, la puissance sexuelle et la réussite sociale. Les jeunes urbains diplômés qui ne travaillent pas vivent leur “échec social” comme une atteinte à leur virilité. »

Reste un élément certain : c’est toujours un inconnu ou un étranger qui est accusé de vol de sexe. Ces affaires témoignent donc souvent de racismes sous-jacents, mais aussi d’inquiétudes face à l’inconnu en milieu urbain.

Vous trouvez tout cela très exotique ? Julien Bonhomme rappelle, pour élargir le champ, que des cas de rétrécissements de sexe ont aussi été constatés en Asie, et « au Moyen-âge en Europe, on raconte aussi des histoires de sorcières qui auraient volé des sexes ».

Source: Rue89

 

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