Une enquête inédite de l’INED et de l’Insee compare le parcours des immigrés et de leurs descendants à celui des Français sans ascendance étrangère.
Du premier pied posé en France par un immigré à l’installation dans la vie adulte de ses enfants s’écrit une histoire d’intégration. Pour comprendre ce processus, qui transforme en Français un nouveau venu et sa descendance, mais aussi pour en repérer les blocages, une équipe de 22 chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ont scruté les vies de 8 300 immigrés issus de sept vagues d’entrées successives. Ils les ont comparées à celles de 8 200 de leurs descendants et à des Français sans ascendance étrangère.
Les 600 pages d’analyses, intitulées « Trajectoires et origines », rendues publiques vendredi 8 janvier, se lisent comme le roman scientifique de la construction de la France contemporaine. Il raconte une société qui, en dépit de ses doutes, sait intégrer. Face aux hésitations sur notre capacité à recevoir les réfugiés de Syrie ou d’ailleurs, la science apporte donc sa pierre. Elle réfute le repli communautaire de la deuxième génération, qui n’apparaît pas dans les résultats de cette vaste enquête réalisée en 2008-2009. Celle-ci confirme toutefois un phénomène de ghettoïsation des fils d’immigrés venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie. Il y perce d’ailleurs plutôt l’idée que, malgré les difficultés, l’« attachement à la France est fort », comme le rappelle le sociodémographe Patrick Simon, un des trois coordonnateurs des travaux.
Ces travaux, qui auront duré pas loin de dix ans, présentent une intégration « asymétrique ». Certes, les enfants d’immigrés obtiennent des diplômes, trouvent des conjoints et des amis sans ascendance migratoire, ont souvent mis entre parenthèses la langue de leurs parents… Pourtant, ils restent plus longtemps victimes du chômage que la population majoritaire et se sentent discriminés. « L’intégration socio-économique est difficile pour eux, alors que leur intégration sociale est en marche », résume Cris Beauchemin, le deuxième coordonnateur du projet.
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Ecole : les filles réussissent bien voire mieux, les garçons moins bien
Si l’on considère la deuxième génération, les 18-35 ans qui ont suivi toute leur scolarité en France, on constate que les filles sont tout autant bachelières que les jeunes femmes de la population générale, et parfois même plus nombreuses selon leur pays d’origine. « Alors que 65 % des filles de la population majoritaire obtiennent un bac, près de 80 % des filles de Chinois, 70 % des jeunes filles ayant des parents cambodgiens, laotiens ou du vietnamiens décrochent un bac ; comme 69 % des filles de parents originaires de Guinée », se réjouit M. Beauchemin. Toutefois, la part des bachelières est bien plus faible parmi celles dont les parents sont venus de Turquie (38 %) ou d’Algérie (51 %).
De manière générale, les résultats sont nettement moins bons pour les garçons. Si 59 % des garçons de la population majoritaire sont bacheliers, seuls 48 % des enfants d’immigrés réussissent ce diplôme – 26 % seulement pour les parents originaires de Turquie, 40 % pour l’Afrique sahélienne ou 41 % pour l’Algérie.
Globalement, 55 % des descendants d’immigrés (ou immigrés arrivés avant 6 ans) qui sont aujourd’hui bacheliers. Ce qui place les deuxième génération, filles et garçons confondus, à 7 points des adolescents du groupe majoritaire, pour l’obtention de ce diplôme tellement symbolique. D’autres preuves du parcours d’intégration peuvent se lire ailleurs, comme dans les mariages mixtes qui concernent 67 % des fils de migrants et 62 % des filles, ou encore dans la descendance des deuxième génération, équivalente à celle des femmes de la population majoritaire à 40 ans.
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Emploi : l’ascension sociale ne protège plus des discriminations
Mais des indicateurs plus inquiétants viennent pondérer ces résultats. En effet, l’intégration économique des deuxième génération ne suit pas leur insertion sociale ; l’« asymétrie » se situe là. D’abord, un diplôme n’a pas le même rendement pour un enfant de migrant et pour un Français de lignée. Même si leur niveau scolaire n’a rien à voir, Mme Hamel, la troisième coordinatrice, observe que « la répartition des emplois des descendants d’immigrés s’approche de manière estompée de celle des emplois occupés par les immigrés de même origine » ; preuve du déclassement manifeste des personnes de seconde génération.
« Ayant plus de mal à s’insérer dans le monde du travail, ils acceptent plus souvent des postes déqualifiés et ensuite y progressent moins vite que leurs collègues qui ne sont pas issus de l’immigration », regrette la sociologue. « Les enfants d’immigrés sont partout confrontés à des discriminations. Ce qui est vrai dans la recherche d’un emploi l’est aussi pour le logement ou l’accès aux loisirs », insiste-t-elle. « En fait, eux font le travail d’intégration. Mais quand la dynamique doit venir de la société française, là, les blocages apparaissent », regrette Patrick Simon.
La seconde génération souffre plus que la première des discriminations et cette expérience est d’autant plus systématique qu’ils font partie des minorités visibles. Maghrébins, Turcs et Subsahariens en sont le plus souvent victimes. Et rien ne les protège : ni le mariage mixte ni l’ascension professionnelle. Au contraire. « Alors que le couple mixte est souvent conçu comme un indicateur d’intégration, les migrants et leurs enfants qui ont fait le choix de vivre en couple avec une personne de la population majoritaire subissent dans leur quotidien davantage de racisme », précisent les chercheurs, qui ajoutent que « les cadres immigrés sont significativement plus confrontés au racisme que toutes les autres catégories socioprofessionnelles ».
Le phénomène est assez prégnant pour qu’entre 5 % et 9 % des descendants d’Africains et de Maghrébins déclarent avoir subi dans les cinq dernières années du racisme et des discriminations sur leur lieu de travail. Chez les enfants d’immigrés européens, ils sont 1 % comme chez les descendants de l’Asie du Sud-Est. Ce qui explique peut-être que l’émergence de cadres soit un processus lent au sein de certaines communautés. Dans la population générale, 1 actif sur 5 a ce statut ; chez les enfants de migrants européens installés en France, 1 sur 3 peut s’en prévaloir, contre seulement 8 % des Maghrébins.
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Zones urbaines sensibles : les hommes relégués dans des quartiers fuis par d’autres
Si pour l’ensemble des sept vagues migratoires considérées en bloc, l’intégration économique n’est pas à la hauteur d’une intégration sociale, qui, elle, fonctionne, l’étude de l’INED pointe un groupe, très masculin, qui, lui, n’a même pas réussi son insertion sociale. Les fils de Maghrébins, les jeunes ayant des parents venus d’Afrique subsaharienne ou de Turquie cumulent les indicateurs d’exclusion à cause de leur échec scolaire massif. Plus d’un tiers d’entre eux n’ont aucun diplôme, pas même le diplôme national du brevet. A leur niveau d’éducation trop faible pour entrer sur un marché du travail s’ajoute leur relégation dans des quartiers fuis par les autres.
Quand plus d’un habitant de ZUS sur deux est migrant ou fils de migrant, ils se retrouvent vite ghettoïsés et victimes de ce que le premier ministre, Manuel Valls, qualifiait en janvier 2015 d’« apartheid territorial, social, ethnique ». « Nous souhaitons attirer l’attention sur ce groupe », insiste M. Beauchemin, pour qui leur présence aux marges de la société, désormais scientifiquement établie, est « un fait social majeur ». Pour eux et pour les autres, Christelle Hamel, Patrick Simon et Cris Beauchemin plaident à l’unisson pour la mise en place de politiques de lutte contre le racisme et les discriminations, afin de ne pas « stopper ce processus d’intégration, en marche, par ces assignations aux origines de leurs parents ».
Le Monde