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Ces jeunes filles que l’on envoie au « bled » pour les marier de force l’été

Une campagne nationale, lancée le 1er juillet par l’association Voix de femmes et soutenue par le secrétariat aux Droits des femmes, entend sensibiliser l’opinion au problème des mariages forcés, à la veille des départs en vacances. L’été, occasion du retour dans le pays familial, serait en effet propice aux unions contraintes.

À 16 ans, Zohra K., une Française d’origine algérienne et berbère, est envoyée dans le pays d’origine de ses parents. Elle pensait y séjourner deux semaines pour les vacances. Mais abandonnée par ses parents et privée de son passeport, elle est obligée de rester sur place. À 18 ans, Zohra est vendue par sa famille pour quelques dinars et mariée de force à un homme mûr, duquel elle restera prisonnière pendant vingt ans. Son calvaire, qui a commencé à la fin des années 1970, Zokhra le raconte dans un livre, Jamais soumise (1), publié au mois de mai dernier.

Plus de trente ans après cette histoire, et même si peu d’études permettent de chiffrer le phénomène, les retours dans le pays familial suivis de mariages forcés menacent toujours des jeunes Françaises. Au début des années 2000, on a estimé que 70.000 jeunes filles en auraient été victimes en France. En 2011, une deuxième étude réalisée en collaboration par l’Ined et l’Insee estimait que le phénomène, qui concerne principalement les immigrées originaires de Turquie, du Maghreb et d’Afrique sahélienne, tendait à diminuer.

Depuis le 1er juillet, une campagne lancée par l’association Voix de femmes avec le soutien du secrétariat aux Droits des femmes sensibilise les jeunes filles et leurs proches à ce fléau, par le biais d’affiches, de slogans – « c’est ma vie, c’est moi qui choisis » – et du hashtag #stopmariageforcé. Elle vise à inciter les parents à résister aux pressions culturelles et familiales et à « respecter le libre choix amoureux » de leurs enfants, explique Anaële Toubiana, chargée de mission prévention auprès de l’association. Cette campagne rappelle que les jeunes filles peuvent appeler des lignes d’écoute si elles se sentent menacées : le numéro dédié de SOS mariage forcé (01 30 31 05 05) ou le 3919. Pour ne pas être mariées de force, les jeunes filles peuvent solliciter de la justice une ordonnance de protection.

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Sous le contrôle de la belle-famille

« C’était important de donner l’alerte avant les départs en vacances, parce que c’est une période propice au retour des jeunes filles dans les pays d’origine des parents », souligne Mme Toubiana. « On veut vraiment les inciter à ne pas partir », souligne Sarah Jamaa, la directrice de l’association. Car une fois à l’étranger, elles peuvent solliciter l’aide du ministère français des Affaires étrangères, mais les démarches peuvent être compliquées pour rapatrier celles qui sont mineures. Cette démarche de prévention est d’autant plus importante qu’au moins « la moitié » des parents qui ont planifié un mariage pendant les vacances l’ont fait à l’insu de leur fille, estime la directrice de l’association. « Elles croient qu’elles vont passer de simples vacances, alors qu’en réalité elles vont être mariées de force », explique-t-elle.

Elles croient qu’elles vont passer de simples vacances,alors qu’en réalité elles vont être mariées de force

Myriam (2), une jeune femme de la région parisienne mariée à 18 ans à un cousin éloigné lors d’un séjour d’été au Sénégal, savait pour sa part qu’elle partait pour s’unir à cet homme de 13 ans son aîné, a-t-elle relaté à l’AFP. « Mes parents ont commencé à me parler de ce projet à 15 ans. » Après des périodes de « rébellion, de matage et de fatalisme », elle a fini par céder aux pressions « psychologiques et physiques » exercées par sa famille, et le mariage a eu lieu pendant l’été 2003. À son retour, elle s’est retrouvée sous le « contrôle », notamment financier, de sa belle-famille, et a très vite abandonné ses études. Prise dans un « conflit de loyauté » vis-à-vis de sa famille, elle n’a quitté son mari que quelques années plus tard, après d’« interminables discussions » et avoir été « menacée d’être reniée ». Aujourd’hui âgée de 30 ans et remariée, elle ne voit plus ses parents car ils n’acceptent pas son nouvel époux.

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Selon Sarah Jamaa, « l’élément déclencheur d’un mariage forcé est souvent la découverte par les parents d’une relation amoureuse qui ne correspond pas à leurs critères : pas la bonne origine, pas la bonne classe sociale, pas la bonne couleur ». Le phénomène, dont l’une des conséquences est souvent la déscolarisation, n’est « pas l’apanage d’une culture particulière, et touche surtout des jeunes filles de moins de 21 ans », souligne-t-elle. Mais des garçons sont aussi victimes de mariages forcés, notamment « si leur orientation sexuelle ne convient pas à leurs parents ». Le problème persiste toujours, malgré un durcissement des sanctions ces dernières années en France contre les instigateurs de mariages forcés et une loi votée en 2013 qui a rendu passible de trois ans de prison et de 45.000 euros d’amende le fait de tromper quelqu’un pour l’emmener à l’étranger dans ce but.

(1) Jamais Soumise. 20 ans dans l’enfer de l’obscurantisme, de Zohra K., Éd. Ring, 250 p., 17 €.
(2) Le prénom a été modifié.

 

AFP

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