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L’amertume de Ndiogou Dièye, un des derniers tirailleurs sénégalais

L’amertume de Ndiogou Dièye, un des derniers tirailleurs sénégalais

Son visage est ridé et son audition incertaine. Mais ses yeux sont perçants. A 103 ans, Ndiogou Dièye est l’un des derniers tirailleurs sénégalais de la seconde Guerre mondiale et nourrit une rancœur contre la France qui a suspendu sa solde pour contrôle mais a promis jeudi de la « régulariser ».

« Je compte sur Dieu et mes enfants pour vivre. Comme tirailleur, je n’ai rien (comme pension) » depuis deux ans. « La France, c’est zéro », maugrée-t-il à l’AFP.

M. Dièye est un visage des centaines de milliers de soldats africains qui ont combattu pour la France lors des deux Guerres mondiales et les conflits coloniaux, en Indochine, Algérie ou à Madagascar.

Longtemps mésestimée, voire ignorée, leur histoire symbolise les relations complexes que la France a entretenues et entretient encore avec ses anciennes colonies. Elle est aujourd’hui portée à l’écran pour l’une des premières fois dans « Tirailleurs », avec l’acteur français Omar Sy, un film qui leur rend hommage sorti mercredi en France, avant le Sénégal vendredi.

Assis sur son lit en bois, dans une chambre aux murs tapissés de photos de ses années de soldat et de décorations militaires, le vieil homme en boubou bleu et bonnet blanc convoque les souvenirs de ces jeunes années où il est parti à travers le monde se battre pour l’ancienne puissance coloniale.

Né le 1er janvier 1920 à Thiès, M. Dièye dit avoir été « recruté en mai 1940 » dans cette ville, à 70 km de Dakar, alors hub colonial ouest-africain du chemin de fer.

« On nous a obligés d’entrer dans l’armée pour faire la guerre, et la destination était inconnue », dit le vieil homme, marié et père de plusieurs enfants, en balançant ses longs bras.

France « malhonnête »
« Je gagnais 500.000 FCFA (750 euros) par an avec ma pension », soit 41.600 FCFA (63 euros) par mois. « Mais depuis deux ans, je n’ai pas ça. La France n’a pas respecté ses engagements. C’est malhonnête », se lamente-t-il.

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« A l’automne 2020, M. Dièye n’a pas présenté le justificatif demandé, ce qui a conduit à la suspension de sa retraite au printemps 2021 », a expliqué jeudi à l’AFP le Secrétariat d’Etat français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire.

« Il a présenté le justificatif en ce début d’année 2022, sa situation sera donc régularisée très rapidement », a-t-il ajouté, précisant que les personnes très âgées devaient fournir un certificat de vie établi par les autorités administratives de leur pays.

Après son enrôlement en 1940, Ndiogou Dièye passe « quelques mois à Thiaroye », un camp militaire près de Dakar, « pour l’instruction de base » avant d’aller « par bateau sur Madagascar » puis de rebrousser chemin « à cause des sous-marins hollandais » sur la route, raconte-t-il.

Il part ensuite au Congo-Brazzaville puis en novembre 1940 au Gabon où il assiste à la « prise de Libreville par les Forces françaises libres du général De Gaulle ».

Puis il prend la route de l’Arabie saoudite et du Liban où « à Tripoli (nord), on nous signale que la guerre est finie alors que nous étions prêts à partir pour l’Europe ».

Il est ensuite « informé » des évènements de Thiaroye où la France a tué des dizaines de tirailleurs qui réclamaient leur solde le 1er décembre 1944. Un traumatisme toujours vif pour les Africains. « On amène quelqu’un en guerre. Il réclame son argent et tu le corriges. C’est aussi de la malhonnêteté », s’indigne-t-il encore aujourd’hui.

Il retourne au Sénégal en avril 1945 avec le grade de sergent et intègrera par la suite la garde républicaine, future gendarmerie sénégalaise, avant sa retraite en 1972, à l’âge de 52 ans.

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« Ostracisés » puis réhabilités
M. Dièye compte parmi « la dizaine de tirailleurs de la deuxième Guerre mondiale en vie au Sénégal », affirme à l’AFP l’historien Mamadou Koné. Le dernier « poilu » (soldat de la Première guerre mondiale) sénégalais est lui mort en 1998 à l’âge de 104 ans.

« Les tirailleurs ont été ostracisés pour avoir été considérés comme des bras armés de l’impérialisme français. Leur image en a été écornée ». Mais au Sénégal, « à partir de 2004, le président Abdoulaye Wade (2000-2012) a institué une journée du tirailleur » célébrée chaque 1er décembre, dit M. Koné.

Cet évènement les a réhabilités en faisant connaître « leur participation aux deux guerres mondiales qui ont libéré le monde du nazisme et du fascisme », estime-t-il.

En France, leur histoire commence aussi à sortir de l’ombre, notamment grâce à la parution en 2018 du livre multiprimé Frère d’âme, de David Diop. Et aujourd’hui avec la sortie du film « Tirailleurs » qui raconte l’histoire d’un père et son fils découvrant ensemble l’enfer de la Grande guerre.

M. Koné note en revanche « une forme d’ingratitude » de l’Etat français. « On les avait utilisés en leur disant qu’en versant leur sang, ils auraient les mêmes droits » que les Français.

Près de 80 ans plus tard, les tirailleurs sénégalais et leurs héritiers déplorent des retraites inférieures à celles de leurs frères d’armes français, ou encore des visas difficiles à obtenir pour leurs descendants.

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